Les chroniques | 19|02|1999 |
Lettre ouverte au président
du synode |
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Face à la situation dans laquelle l’Église
Protestante Unie de Belgique (E.P.U.B.) nous a placés, nous sommes
contraints de rompre le silence et faisons appel à celles et à
ceux qui ont, un jour, été interpellés par cette
même église qui -depuis sa fondation en 1839- était
ouverte sur le monde et donnait à l’homme toute sa possibilité
d’être, une église qui respectait tout naturellement
les différentes tendances et opinions, une église au sein
de laquelle chacun apportait sa pierre, une église toujours à
consolider et sans doute jamais achevée.
Solennellement, nous réitérons
le principe de base de notre église de l'Alliance :
En foi de quoi, nous demandons l’arrêt
immédiat des négociations en cours -entre le Bureau du Conseil
synodal et des représentants de mouvements fondamentalistes et
ce en présence de représentants du Ministère de la
Justice- en vue de constituer une structure commune, un organe paritaire.
Cette fédération d’églises ne nous permettrait
plus de vivre notre foi dans la liberté chèrement acquise
par nos Pères Réformateurs.
Nous espérons ainsi que l’E.P.U.B. restera une église
ouverte et pluraliste, au sein de laquelle diverses tendances théologiques,
ecclésiologiques et éthiques coexisteront et coopèreront
à nouveau dans un mutuel respect, pour la seule gloire de Dieu.
Au 17e siècle une “lettre écarlate”
offrait à la vindicte populaire tout qui ne rentrait pas dans les
normes d’une communauté puritaine dans la Nouvelle Angleterre.
C’est ce que Nathaniel Hawthorne dénonce dans son roman The
Scarlet Letter en 1850, véritable fable de la rédemption
et de la justice de Dieu où tout péché est signe
de damnation. C’est
cette église, ouverte sur le monde et donnant à l’humain
toute sa possibilité d’être, qui nous a interpellés.
Cette église a donné et devrait continuer à donner
à des protestants la possibilité de vivre un christianisme
en dehors de toute aliénation dogmatique et doctrinaire, la possibilité
de vivre sa foi personnelle dans la liberté, la possibilité
de reconnaître l’Autre, son prochain, dans sa différence
-quelle qu’elle soit- et de lui conserver sa dignité. Le protestantisme Réfomé,
un espace de vie
Pour le protestant réformé,
la foi -cheminant en étroite complicité avec la raison-
s’avère être une source de progrès et de réelles
inspirations quant à son propre devenir et à celui de l’humanité.
Ainsi donc, dans cette volonté de vivre
autrement sa foi, tout espace sacré -comme domaine de prospection
réservé aux uns et dénié aux autres- perd
son sens et relève d’une limitation arbitraire tracée
par certains pour vouer à la damnation ceux qui ne reconnaîtraient
pas le monopole qu’ils prétendent détenir du message
chrétien.
Que notre spiritualité est bradée
au goût du jour, voilà une des accusations portée
à notre égard par les milieux obscurantistes. Or, nous affirmons
à la suite de Hegel, philosophe protestant, que “ce n’est
pas en niant les contradictions, mais en se montrant capable de les affronter,
de les mettre en valeur, de les analyser et de les surmonter au prix de
nouvelles contradictions et de nouveaux développements que l’on
fait preuve de forces spirituelles”.
Depuis quelques années, des églises
fondamentalistes (de type charismatique ou évangélique qui
possèdent -elles seules- La Vérité) avec l’appui
d’un ancien président des Étas-Unis, le baptiste J.
Carter ont interpellé officiellement le Ministre de la Justice,
exigeant leur représentativité officielle. C’est évidemment
leur droit. Ces
églises fondamentalistes ne reconnaissent pas deux des principes
de la Réforme, à savoir: la liberté de conscience
et le libre examen. La plupart d’entre elles prennent les textes
bibliques à la lettre (le créationnisme par exemple), excommunient
ceux qui ne partagent pas leurs dogmes en matière de foi et d’éthique,
condamnent les sidéens (le Sida est une punition de Dieu), les
homosexuels et autres “pervers” tels les athées, les
agnostiques, les catholiques, les anti-trinitaires ou les franc-maçons
aux “peines éternelles”.
Or, le bureau du Conseil synodal de l’Église
protestante unie de Belgique traite, depuis plusieurs années déjà,
avec ces églises fondamentalistes qui revendiquent la représentation
juridique et légale de l’ensemble des protestants belges
devant l’État belge et la Communauté Européenne. Que
signifie la devise protestante: Ecclesia reformata quia semper
reformanda? C’est le combat contre toutes les idoles dogmatiques
ou doctrinaires par un approfondissement de la foi en Dieu -le Dieu
de
la bible. Dès le XVIe siècle, la Réforme s’est
opposée aux ajouts de la tradition et à la hiérarchisation
de la société ecclésiastique en se présentant
comme la religion de la liberté et de la modernité,
co-auteur de la laïcité. Nous demandons l'arrêt immédiat
des négociations
Comment pourrions-nous envisager d’être
amalgamés à ces fondamentalistes qui d’ailleurs, hier
encore, portaient officiellement l’anathème contre nous?
Ce sont les mêmes qui aujourd’hui se présentent auprès
des autorités fédérales et communales de Belgique
prétendant représenter le protestantisme belge. Et ceci,
il faut bien le dire, avec la complicité ou l’inertie de
certains de nos correligionnaires.
Nous voyons donc combien fut difficile le
chemin parcouru depuis notre choix de vivre dans une église qui
garantissait la liberté d’être, la liberté de
pensée, la liberté d’expression, jusqu’à
cette église qui instaure des structures qui mettent en péril
l’essence même de la foi réformée.
Nous osons croire que notre indignation est
également celle de nombreux chrétiens réformés
membres de l’E.P.U.B., peut-être encore trop silencieux, qui
ne peuvent souffrir que fondamentalisme et dogmatisme s’imposent
à eux. Là où la doctrine contraint, là où
la pensée libre doit abdiquer face à l’autorité
d’une pensée unique, le libre examen agonise, l’esprit
de la Réforme aussi. Pierre A. Bailleux, pasteur,
dimanche 19 février 1999 |