Introduction
Dans une perspective ancienne (traditionnelle),
les nombres sont liés entre eux par des circuits symboliques qui
nous éloignent parfois beaucoup d’une simple
(et moderne) approche arithmétique. Les exemples suivants
veulent en témoigner. Dans tous les cas, cette approche
de l’univers des nombres suggère des associations
jadis familières dans certains milieux traditionnels.
Les écrits bibliques –canoniques ou non- utilisent
la langue hébraïque –parfois l’araméen.
Et l’écriture de ces langues permet des associations
symboliques. Une telle fonction symbolique d’une « langue
sainte » est inconnue dans les usages modernes en général.
Dans les modernes études bibliques, tant philologues
que linguistes se tiennent à l’écart
de « spéculations » auxquelles ils ne
trouvent pas de sens.
Ainsi, la forme linguistique des Ecritures
n’est guère
jugée significative. Cependant, l’hébreu
ou l’arabe (1) peuvent jouer un tel rôle significatif
de forme symbolique de l’écriture. Le grec et
le latin ont parfois joué un rôle semblable.
Par contre, l’écriture des langues modernes
nous apprend à séparer ce qui relève
du calcul et ce qui note, en langue écrite, l’expression
de la pensée. Dans les deux cas, l’utilitaire
domine et le symbolique ne joue guère de rôle.
Cependant –c’est le problème de toutes
les dogmatiques- les termes peuvent être pris pour
des réalités vulgaires existantes par elles-mêmes.
La désignation devient alors une réalité à laquelle
on pense et dont on parle. C’est le risque de faire
du mot une réalité. Et de là (le cas
s’est souvent vu dans l’histoire… ) le
risque de définir par des mots la « vérité » contre
l’ « hérésie » -voire même
de vénérer cette « réalité » comme
une idole.
Au contraire, les nombres renvoient à des figures
abstraites, mais ne peuvent pas devenir des idoles. Figures
et nombres sont de purs supports de méditation. Les
brèves notes qui suivent sont un écho de ce
vieux savoir
Le nombre 50
La racine symbolique est 12. Quel rapport
entre 12 et 50 ? Au plan de l’arithmétique, ces deux valeurs
n’ont pas à être rapprochées. Pourtant,
au plan symbolique, 50 procède de 12.
Que l’on pense au fameux triangle 3-4-5
qui était
(bien avant Pythagore) mesuré par la corde à 12
sections (3 = mesure du petit côté ; 4 = mesure
du grand côté ; 5 = mesure de l’hypoténuse).
Et voilà le « triangle cosmique» des platoniciens
! 3 + 4 + 5 = 12
On sait que –dans cette approche qualitative des nombres-
le carré exprime le paroxysme de ce qui est exprimé par
le nombre-racine :
32 + 42 = 9 + 16 = 25 = 52
Soit par addition des carrés :
32 + 42 +
52 = 50
En sorte que, symboliquement, le nombre 50
est la « perfection » du
nombre 12. C’est ainsi que le nombre 50 est compris
par Philon d’Alexandrie. Le grand alexandrin (juif,
mais de culture grecque et fortement marqué par la
Bible, certes, mais aussi par Platon) en faisait le symbole
du « suprême principe qui produit le monde » en
tant qu’expression rendue parfaite du triangle 3-4-5
(2).
Ce nombre 50 est noté, en hébreu, par la lettre « nûn ».
C’est d’ailleurs ainsi qu’est noté dans
un texte de Qumran (1QS 9,5) le nombre 50.
Le « nûn » est aussi la troisième
lettre du mot « Amen » (‘MN). Mot dont
la valeur numérique est : 1 + 40 + 50 = 91. C’est
un nombre qui peut être qualifié de « divin ».
En effet, le nombre 91 (= 7 x 13) est la valeur numérique
de « mal’akh » (ange), « ha’elohim » (la
divinité), « ne’ûm » (oracle), « Adonay
YHWH » (65 + 26 = 91). Depuis le seizième siècle,
les « kabalistes chrétiens » connaissent
ces équivalences.
«
Amen » est un nom de Dieu dans de nombreux textes bibliques.
Non seulement au sens habituel de « oui, vraiment » dans
une réponse du peuple croyant (cf Deutéronome
27,15 et versets suivants ; Psaume 89,53 ; Psaume 106,48
; Néhémie 5,13 ou 8,6 ; I Chroniques 16,36… Cp
2 Corinthiens 1,19 et 20), mais comme qualificatif de Dieu
même. C’est « Le Dieu de l’amen » (Esaïe
65,16), « le témoin fidèle » (Apocalypse
3,14).
Dans ce dernier texte, l’Amen est « le principe
de la création de Dieu », identifiant la Sagesse
et la parole primordiale de Dieu (dans la suite de Proverbes
8,22). Et cette « parole » est identique à la
Thora (pour les juifs) et au « logos » (pour
les chrétiens).
Que ce « logos » soit de devenu
un « verbum » -identifié au
Christ- est un avatar –devenu canonique- d’une
philosophie (grecque d’abord).
Le nombre 91 Pour les familiers du symbolisme numérique, 91 est
le nombre hexagonal (Hn) de 7 :
Hn = n (2n – 1)
H7 = 7 (14 – 1) = 91
Nous avons vu (cf Introduction : « Les
nombres dans la Bible » et « Les nombres dans le livre de
Daniel : 2- La
tétraktys » ) que la méthode
du gnomon donnerait ce même résultat par simple
addition du nombre pentagonal (Pn) de 7 et du nombre triangulaire
(Tn) de 6 (= 7-1).
Pn + Tn-1 = P7 + T6 = 7O + 21 = 91
Mais 91 est aussi, anciennement, le nombre
des jours d’une
saison et –comme tel- ce nombre est inscrit dans l’année
de 364 jours ( 4 x 91 à quoi on ajoute un jour « intercalaire à chaque
saison, soit 360 + 4). Ce comput symbolique est rappelé dans
le livre d’Hénoch (LXXX,18).
Dans cette perspective, le nom divin « Amen » est
inscrit dans l’année liturgique. De là,
ces violentes polémiques anciennes sur le nombre des
jours de l’année (cf Jubilés VI). Il
est vrai que changer le nombre des jours de l’année
entraîne le changement des dates des fêtes cycliques
et conduit les fidèles à se différencier,
sur la terre, de la pratique des anges dans le ciel.
On comprend le visionnaire Daniel (cf 7,25)
lorsqu’il
s’en prend à ceux qui voudraient changer « les
temps et la loi divine ». Mais les gens de Qumran ont
une pratique différente, comme aussi les auteurs des
livres d’Hénoch ou des Jubilés.
Le nombre 65
Le mot latin LVX (lumière) vaut 65 (50 + 5 + 10).
C’est un des cas où le latin éclaire
au sujet d’une valeur numérique symbolique.
Par une « rencontre » étonnante, cette
valeur numérique est celle des mots hébreux
: hekhal (HYKL = « temple ») et Adonay (‘DNY
= « Seigneur »).
Le double de 65 est 130. Selon l’approche ancienne,
13 et 130 ont, symboliquement, la même valeur. Or Dieu
est UN et la valeur numérique de UN est 13 (‘Hd
= 1 + 8 + 4 = 13). Tout temple divin est à la gloire
du Dieu UN.
D’autre part, l’expression « le Temple
du Seigneur » (hekhal Adonay) a pour valeur numérique
:
65 + 65 = 130
C’est aussi la valeur numérique de l’échelle
de Jacob :
sullam (SLM = « échelle »).
Cette « échelle » sur laquelle montent
et descendent les anges a, ainsi, la même valeur numérique
que le Temple divin qui est sur la terre.
Un peu de commentaire : Le « Temple » est une « échelle » de
lumière. L’un et l’autre désignent
Dieu (sa demeure ou le lien qui relie à sa présence).
Les termes sont ici symboliques. Les désignations
ne sont que des supports de compréhension : les prendre à la
lettre serait absurde. Les ignorer serait une autre absurdité.
La « lumière » est ce qui donne de voir
ce que l’obscurité interdisait. Cette lumière
n’est pas celle du soleil, mais celle du « premier
jour » (cf Petit midrache des lumières). En
sorte que Dieu peut être appelé « Père
des lumières » (Jacques 1,17)
Cette « échelle » qui est un temple peut
apparaître dressée en tous lieux de la terre.
De là, cette exclamation de Jacob dans la campagne
judéenne : « Vraiment, le Seigneur est en ce
lieu et je ne le savais pas » (Genèse 28,16).
Jacques Chopineau, Genappe, le 3 février 2005
(1) Nous abordons plus loin le nombre
65. Remarquons ici que le verbe arabe « hallala » (écrit
: hll ) a pour valeur numérique : 5 + 30 + 30 = 65.
Un des sens du verbe arabe désigne le fait de dire
que Dieu est le seul qui puisse être appelé ainsi
(« Lâ ‘ilâha ‘illa llah »).
C’est aussi la racine du mot « hilâl » (croissant
de lune). La figure de l’astre est ainsi un rappel …..
(2) Nous l’avions noté dans : « Durée symbolique et
nombre-racine, un aspect de l’usage des nombres dans la Bible »,
Analecta Bruxellensia 5 (2000) p 50. Dans le même article était
rappelée la série des équivalences sur le nombre 91 (cf
art. cit. p 63).
Sur cet ancien savoir, lire ce qu’écrit Jean Tourniac : Les
tracés
de lumière, Symbolisme et connaissance, Paris 2001, p 126. Trop rares
sont, aujourd’hui, les écrits où ce savoir est reconnu.
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