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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- Introduction

- Le nombre 50

- Le nombre 91

- Le nombre 65

 

   


Les nombres 50, 65 et 91

 

 


Introduction

Dans une perspective ancienne (traditionnelle), les nombres sont liés entre eux par des circuits symboliques qui nous éloignent parfois beaucoup d’une simple (et moderne) approche arithmétique. Les exemples suivants veulent en témoigner. Dans tous les cas, cette approche de l’univers des nombres suggère des associations jadis familières dans certains milieux traditionnels.

Les écrits bibliques –canoniques ou non- utilisent la langue hébraïque –parfois l’araméen. Et l’écriture de ces langues permet des associations symboliques. Une telle fonction symbolique d’une « langue sainte » est inconnue dans les usages modernes en général. Dans les modernes études bibliques, tant philologues que linguistes se tiennent à l’écart de « spéculations » auxquelles ils ne trouvent pas de sens.

Ainsi, la forme linguistique des Ecritures n’est guère jugée significative. Cependant, l’hébreu ou l’arabe (1) peuvent jouer un tel rôle significatif de forme symbolique de l’écriture. Le grec et le latin ont parfois joué un rôle semblable. Par contre, l’écriture des langues modernes nous apprend à séparer ce qui relève du calcul et ce qui note, en langue écrite, l’expression de la pensée. Dans les deux cas, l’utilitaire domine et le symbolique ne joue guère de rôle.

Cependant –c’est le problème de toutes les dogmatiques- les termes peuvent être pris pour des réalités vulgaires existantes par elles-mêmes. La désignation devient alors une réalité à laquelle on pense et dont on parle. C’est le risque de faire du mot une réalité. Et de là (le cas s’est souvent vu dans l’histoire… ) le risque de définir par des mots la « vérité » contre
l’ « hérésie » -voire même de vénérer cette « réalité » comme une idole.

Au contraire, les nombres renvoient à des figures abstraites, mais ne peuvent pas devenir des idoles. Figures et nombres sont de purs supports de méditation. Les brèves notes qui suivent sont un écho de ce vieux savoir

Le nombre 50

La racine symbolique est 12. Quel rapport entre 12 et 50 ? Au plan de l’arithmétique, ces deux valeurs n’ont pas à être rapprochées. Pourtant, au plan symbolique, 50 procède de 12.

Que l’on pense au fameux triangle 3-4-5 qui était (bien avant Pythagore) mesuré par la corde à 12 sections (3 = mesure du petit côté ; 4 = mesure du grand côté ; 5 = mesure de l’hypoténuse). Et voilà le « triangle cosmique» des platoniciens ! 3 + 4 + 5 = 12

On sait que –dans cette approche qualitative des nombres- le carré exprime le paroxysme de ce qui est exprimé par le nombre-racine :
   32 + 42 = 9 + 16 = 25 = 52
Soit par addition des carrés :
   32 + 42 + 52 = 50

En sorte que, symboliquement, le nombre 50 est la « perfection » du nombre 12. C’est ainsi que le nombre 50 est compris par Philon d’Alexandrie. Le grand alexandrin (juif, mais de culture grecque et fortement marqué par la Bible, certes, mais aussi par Platon) en faisait le symbole du « suprême principe qui produit le monde » en tant qu’expression rendue parfaite du triangle 3-4-5 (2).

Ce nombre 50 est noté, en hébreu, par la lettre « nûn ». C’est d’ailleurs ainsi qu’est noté dans un texte de Qumran (1QS 9,5) le nombre 50.

Le « nûn » est aussi la troisième lettre du mot « Amen » (‘MN). Mot dont la valeur numérique est : 1 + 40 + 50 = 91. C’est un nombre qui peut être qualifié de « divin ». En effet, le nombre 91 (= 7 x 13) est la valeur numérique de « mal’akh » (ange), « ha’elohim » (la divinité), « ne’ûm » (oracle), « Adonay YHWH » (65 + 26 = 91). Depuis le seizième siècle, les « kabalistes chrétiens » connaissent ces équivalences.

« Amen » est un nom de Dieu dans de nombreux textes bibliques. Non seulement au sens habituel de « oui, vraiment » dans une réponse du peuple croyant (cf Deutéronome 27,15 et versets suivants ; Psaume 89,53 ; Psaume 106,48 ; Néhémie 5,13 ou 8,6 ; I Chroniques 16,36… Cp 2 Corinthiens 1,19 et 20), mais comme qualificatif de Dieu même. C’est « Le Dieu de l’amen » (Esaïe 65,16), « le témoin fidèle » (Apocalypse 3,14).

Dans ce dernier texte, l’Amen est « le principe de la création de Dieu », identifiant la Sagesse et la parole primordiale de Dieu (dans la suite de Proverbes 8,22). Et cette « parole » est identique à la Thora (pour les juifs) et au « logos » (pour les chrétiens).

Que ce « logos » soit de devenu un « verbum » -identifié au Christ- est un avatar –devenu canonique- d’une philosophie (grecque d’abord).

Le nombre 91

Pour les familiers du symbolisme numérique, 91 est le nombre hexagonal (Hn) de 7 :
   Hn = n (2n – 1)
   H7 = 7 (14 – 1) = 91
Nous avons vu (cf Introduction : « Les nombres dans la Bible » et « Les nombres dans le livre de Daniel : 2- La tétraktys » ) que la méthode du gnomon donnerait ce même résultat par simple addition du nombre pentagonal (Pn) de 7 et du nombre triangulaire (Tn) de 6 (= 7-1).
   Pn + Tn-1 = P7 + T6 = 7O + 21 = 91

Mais 91 est aussi, anciennement, le nombre des jours d’une saison et –comme tel- ce nombre est inscrit dans l’année de 364 jours ( 4 x 91 à quoi on ajoute un jour « intercalaire à chaque saison, soit 360 + 4). Ce comput symbolique est rappelé dans le livre d’Hénoch (LXXX,18).

Dans cette perspective, le nom divin « Amen » est inscrit dans l’année liturgique. De là, ces violentes polémiques anciennes sur le nombre des jours de l’année (cf Jubilés VI). Il est vrai que changer le nombre des jours de l’année entraîne le changement des dates des fêtes cycliques et conduit les fidèles à se différencier, sur la terre, de la pratique des anges dans le ciel.

On comprend le visionnaire Daniel (cf 7,25) lorsqu’il s’en prend à ceux qui voudraient changer « les temps et la loi divine ». Mais les gens de Qumran ont une pratique différente, comme aussi les auteurs des livres d’Hénoch ou des Jubilés.

Le nombre 65

Le mot latin LVX (lumière) vaut 65 (50 + 5 + 10). C’est un des cas où le latin éclaire au sujet d’une valeur numérique symbolique. Par une « rencontre » étonnante, cette valeur numérique est celle des mots hébreux : hekhal (HYKL = « temple ») et Adonay (‘DNY = « Seigneur »).

Le double de 65 est 130. Selon l’approche ancienne, 13 et 130 ont, symboliquement, la même valeur. Or Dieu est UN et la valeur numérique de UN est 13 (‘Hd = 1 + 8 + 4 = 13). Tout temple divin est à la gloire du Dieu UN.

D’autre part, l’expression « le Temple du Seigneur » (hekhal Adonay) a pour valeur numérique :
   65 + 65 = 130

C’est aussi la valeur numérique de l’échelle de Jacob :
sullam (SLM = « échelle »). Cette « échelle » sur laquelle montent et descendent les anges a, ainsi, la même valeur numérique que le Temple divin qui est sur la terre.

Un peu de commentaire : Le « Temple » est une « échelle » de lumière. L’un et l’autre désignent Dieu (sa demeure ou le lien qui relie à sa présence). Les termes sont ici symboliques. Les désignations ne sont que des supports de compréhension : les prendre à la lettre serait absurde. Les ignorer serait une autre absurdité.

La « lumière » est ce qui donne de voir ce que l’obscurité interdisait. Cette lumière n’est pas celle du soleil, mais celle du « premier jour » (cf Petit midrache des lumières). En sorte que Dieu peut être appelé « Père des lumières » (Jacques 1,17)

Cette « échelle » qui est un temple peut apparaître dressée en tous lieux de la terre. De là, cette exclamation de Jacob dans la campagne judéenne : « Vraiment, le Seigneur est en ce lieu et je ne le savais pas » (Genèse 28,16).

Jacques Chopineau, Genappe, le 3 février 2005

   (1) Nous abordons plus loin le nombre 65. Remarquons ici que le verbe arabe « hallala » (écrit : hll ) a pour valeur numérique : 5 + 30 + 30 = 65. Un des sens du verbe arabe désigne le fait de dire que Dieu est le seul qui puisse être appelé ainsi (« Lâ ‘ilâha ‘illa llah »). C’est aussi la racine du mot « hilâl » (croissant de lune). La figure de l’astre est ainsi un rappel …..
   (2) Nous l’avions noté dans : « Durée symbolique et nombre-racine, un aspect de l’usage des nombres dans la Bible », Analecta Bruxellensia 5 (2000) p 50. Dans le même article était rappelée la série des équivalences sur le nombre 91 (cf art. cit. p 63).
Sur cet ancien savoir, lire ce qu’écrit Jean Tourniac : Les tracés de lumière, Symbolisme et connaissance, Paris 2001, p 126. Trop rares sont, aujourd’hui, les écrits où ce savoir est reconnu.