Les lignes qui suivent concernent
deux emplois bibliques du nombre 42 : l’un comme
nombre figuré, l’autre en tant qu’il désigne
les temps de la fin. Notons d’abord que 42 est un exemple
de nombre rectangulaire :
Ce presque carré compte 42 cailloux.
C’est le nombre rectangulaire de 6 (R6 = 6 x 7). Une
ligne de plus ajouterait 7 cailloux et le carré 49
serait atteint. Voilà pour l’évidence
arithmético-géométrique traditionnelle.
D’un point de vue symbolique, ce nombre est composé
de 6 et de 7.
Dans la Bible, 6 (et ses dérivés :
multiples et nombres figurés) réfère
aux 6 jours de la création. Tout ce qui existe est
produit par 6. C’est d’ailleurs le premier des
« nombres parfaits » (nombre égal
à la somme de ses diviseurs : 1 + 2 + 3 = 6).
7 (et ses dérivés) désigne
la totalité de la grande « semaine »
de l’histoire du monde. 7, 49, 70, 490… sont des
chiffres indiquant une totalité.
6 et 7 sont, entre eux,
dans un rapport symbolique visualisé par le rectangulaire
42 et le carré 49. Telle est la représentation
figurée qui est au fond de la généalogie
de l’évangile de Matthieu.
• La généalogie…
On sait que l’évangile de Matthieu
s’ouvre par une généalogie de 42 noms :
« Il y a donc en tout quatorze
générations depuis Abraham jusqu’à
David, quatorze générations depuis David jusqu’à
la déportation de Babylone, : et quatorze générations
depuis l’exil à Babylone jusqu’au Christ
»
Matthieu 1,17
En tout 42 générations (3 x 14)
qui vont de l’histoire d’Abraham à la naissance
du Christ. Pour arriver à ce résultat, l’auteur
a dû omettre certains noms, mais peu importe ici l’histoire
des historiens, c’est la construction qui importe parce
qu’elle a été jugée significative.
Remarquons encore que la généalogie
de l’évangile de Luc (cf. Luc 3) est littéralement
inconciliable avec celle que présente Matthieu. Les
deux disent cependant la même chose, mais par des moyens
très différents. Ce n’est pas le lieu
ici de les comparer. Restons un instant sur la généalogie
de Matthieu, sans nous arrêter sur le chiffre 14. Sauf
pour rappeler qu’il est la valeur numérique du
nom de David en hébreu (DWD = 4 + 6 + 4 = 14) et qu’il
est le premier nombre de l’addition daniélique
(1).
Mais ce qui nous intéresse ici est que
les 6 septénaires représentent les six « jours »
de la création. Un nouvel ordre du monde s’ouvre
avec le début du septième et dernier septénaire,
lequel est inauguré (selon Matthieu) par la naissance
du Christ.
Si le carré de
la grande semaine est 49, le rectangulaire 42 désigne
les 6 premiers septénaires qui sont ceux de la totalité
de l’ancienne création.
• Sur le nom d’Adam
Le titre de la généalogie
mentionne trois noms : Abraham, David, Messie. Ce sont
- en hébreu - les trois lettres du nom d’Adam.(‘aleph,
dalet, mem) Par un procédé exégétique
appelé en hébreu notarikon, un nom est décomposé de telle manière
que ses lettres forment les initiales de noms nouveaux. Dans
le cas présent :
‘ : ‘Abraham
D
: David
M
: MashiaH (Messie)
Il ne s’agit pas
ici de symbolisme numérique, mais il semble impossible
de ne pas signaler ce qui commande les trois parties de cette
généalogie. Selon ce procédé,
le développement du nom d’Adam (« ‘adam »
signifie : « genre humain ») commande
cette généalogie tripartite dont chaque série
est commandée par un nom.
Le dernier de ces trois noms est « Messie »
(dans le texte grec : « Christos »,
sans article, comme s’il s’agissait d’un
nom propre). C’est ce nom qui clôt la troisième
série et le dernier septénaire. Le dernier jour
de la grande semaine de l’histoire du monde est ainsi
(selon cette tradition dont Matthieu se fait l’écho),
le septénaire inauguré par la naissance du Christ.
On remarquera qu’une
fois de plus, d’anciens procédés exégétiques
sont utilisés par des groupes chrétiens primitifs,
dans la ligne d’une tradition exégétique
plus ancienne. L’origine juive de ces premiers chrétiens
est évidente. Une utilisation antérieure du
nombre 42 (mais conservée dans le langage de l’apocalyptique
chrétienne) en témoigne.
• Les 42 mois de la fin
Le livre de l’Apocalypse met en relation
les nombres 42 et 1260. Cela s’explique facilement :
«… celles-ci (les nations)
fouleront aux pieds la ville sainte pendant 42 mois. Je donnerai
à mes deux témoins de parler en prophètes,
vêtus de sacs, pendant 1260 jours… »
Apocalypse 11,3-3
Les deux nombres sont identiques (42 mois x
30 jours = 1260 jours) L’apocalypse johannique est ici,
une fois de plus, dans la dépendance de la mère
de toutes les apocalypses (canoniques ou non), le livre de
Daniel.
C’est
un livre plein de nombres et il doit être étudié
pour lui-même, du point de vue du symbolisme numérique.
D’autant que le milieu daniélique connaît
bien les mathématiques de son temps et qu’il
en use plus que tous les autres livres bibliques. Il faudra
donc revenir sur ce livre de Daniel où ces nombres
42. et 1260 jouent un rôle considérable, sans
pourtant être jamais clairement cités.
Sans entrer ici dans beaucoup de détails,
rappelons que les deux « nombres de la fin »
(2) dans le livre de Daniel sont 1290 et 1335 :
« Depuis le temps où
le sacrifice constant sera supprimé, pour que soit
établie l’horreur dévastatrice, il y aura
1290 jours. Heureux celui qui attendra et qui arrivera jusqu’à
1335 jours…»
Daniel 12,11-12
Or 1290 = 1260 + 30 et le nombre pentagonal
de 30 est 1335. Quant à la somme 1290 + 1335 =
2625, elle rejoint (par le biais d’un nouveau nombre
pentagonal) le nombre-racine 42 (P42 = 2625). Les faits sont incontestables, mais en
général ignorés.
Tous ces calculs (simples,
au demeurant : voir notre Introduction
aux nombres dans la Bible)
sont d’une grande cohérence. Ne pas en tenir
compte revient à ne pas comprendre la visée
symbolique du livre.
Jacques Chopineau,
Genappe 1er août 2003
Notes
(1) Addition qui joue un grand rôle dans les écrits
apocalyptiques et dont la forme est : n + 2n + n/2 (cf.
Daniel 7,25 ). Ici, l’addition (double) serait :
12 + 24 + 6 = 42 et 14 + 28 + 7 = 49. Le total de cette addition
est d’ailleurs toujours un multiple de 7, pour autant
que n soit un nombre pair, afin que n/2 soit un nombre entier.
Tous les nombres symboliquement importants (sauf ceux qui
proviennent d’une guématrie) pourraient
être mis en lumière par cette formule qui est
reprise en Apocalypse 12,14.
(2)
Il n’est que deux « nombres de la fin »,
même si beaucoup de commentaires mentionnent le nombre
(hypothétique) de 1150 qui est un nombre absent du
livre de Daniel. D’ailleurs « 2300 soirs
et matin » (cf. Daniel 8,14) ne doivent pas être
divisés par deux (= 1150 !), mais multipliés
par deux : 2300 sacrifices du matin (shaHarit)
et 2300 sacrifices du
soir (ma’aravit). Soit,
au total : 4600 sacrifices… C’est le même
nombre que celui du total des déportés mentionné
en Jérémie 52,30. Il s’agit d’effacer
symboliquement les conséquences d’un exil terrible.
Mais les commentaires se répètent souvent les
uns les autres, et la connaissance des nombres ne fait guère
partie de la culture savante. Pour le malheur de l’exégèse
moderne…
Jacques Chopineau |