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Bible et Liberté |
Lire la Bible - 14. Ce sens qui est saveur | Imprimer |
C’est le même mot en hébreu ancien :
Le mot «taam» signifie
à la fois «goût», «saveur» et «sens».
Dire d’une chose qu’elle n’a pas de saveur, signifie
qu’elle n’a pas de sens. Un texte sans saveur est dépourvu
de sens. Le sens est ainsi un écho de saveur, un prolongement de
la lecture. Il ne s’agit donc pas simplement d’étudier
un texte, mais d’entendre une parole. Or, il n’est pas de
«méthode» propre à capturer la parole ; il n’est
pas de filet pour la capter. L’écoute seule peut la capter,
comme on dit qu’une source est captée, lorsqu’on a
réussi à la faire dériver vers les assoiffés. Après quelques siècles d’ignorance (voire
de mépris), voici qu’on s’intéresse à
nouveau à cette ancienne manière juive d’aborder les
textes bibliques : le «midrache». En fait, il ne s’agit
ni d’un genre littéraire unique, ni d’une «méthode»
unique. C’est dire que le « midrache
» résiste aux définitions qu’on voudrait en
donner. Sans entrer ici dans beaucoup de détails techniques, relevons
que dans tous les cas le «midrache» suppose, d’une part,
une étude attentive du texte de l’Écriture et, d’autre
part, l’existence d’une communauté consciente de sa
réalité et de son avenir. Comme chez les Pères de
l’église, tout passage de l’Écriture peut être
éclairé par un autre passage de l’Écriture.
Mais dans le midrache, la diversité des opinions exprimées
n’utilise ni recours à un magistère central, ni anathème
porté contre celui qui lirait autrement. Le principal ressort de l’enseignement du midrache
est ce que nous nommons : la parabole. Le mot “parabole” (en latin «parabola») est un doublet du
mot «parole». Une parabole est une parole. Ainsi sont aussi
les paraboles de l’Évangile. Mais au contraire de tant de
discours savants où la précision du langage cache parfois
le flou de la pensée, la parabole ambiguë est le fruit d’une
pensée claire. La parole d’enseignement procède d’un
sage. La mise en parabole, ne peut être que le fait d’un sage
qui sait exactement ce qu’il veut enseigner. Les paraboles cependant
prennent pour nous la forme d’un texte écrit. Et sur ce texte
(son origine, sa forme, l’histoire de sa transmission) peut s’exercer
la science philologique. Les paraboles sont pour nous le texte des paraboles.
La parole est devenue un texte! C’est l’occasion de rappeler que dans la langue
hébraïque ancienne (la langue de la Bible), il n’est
pas de mot pour dire «texte».
La langue moderne utilise le calque gréco-latin «tekst».
La Bible cependant, dans la tradition juive, est appelée couramment
«miqra’», c’est à dire «lecture» ou
«lecture à haute voix». Un «texte» n’est
pas une «parole» mais, par la lecture à haute voix,
le texte devient parole. A l’inverse, notre mot «texte»
est une ancienne métaphore. C’est le calque francisé
de «textus»: participe passé du verbe latin «texere»
(tisser). Et le «tiste» de l’ancien français
(re-latinisé à partir de «textus») a donné
en français moderne le mot «texte», lequel signifie
d’abord «tissé-tissu». Les métaphores ne sont pas innocentes. Parler (si parler exprime la pensée), revient toujours à comparer ceci et cela. Un «texte-tissu» (trame et chaîne) peut toujours être découpé, analysé. Un tel texte-tissu existe par lui-même : indépendamment de la lecture qui en est faite. On peut donc l’étudier pour lui-même, historiquement, philosophiquement, théologiquement. De même, un corps mort existe tout autant qu’un corps vivant. Et d’ailleurs, si l’on vise l’analyse des composants, mieux vaut n’avoir pas étudié un corps vivant! C’est ce que Goethe (par la bouche de Mephisto) disait de la chimie de son temps (22) : « Celui
qui veut connaître et décrire le vivant De même, un texte non-lu existe tout autant qu’un
texte lu. Mais la lecture est la vie du texte. Le lecteur est celui qui,
dans le tissu du texte, découvre peu à peu les chemins qui
ont de la saveur. Le «sens» est alors la saveur découverte.
Le sens ne peut pas être séparé du bonheur de lire.
Si c’est de Bible que nous parlons, nous dirons que la parole est
toujours et seulement le fruit d’une écoute. Les mots d’un
texte ne deviennent «parole» que par un processus d’appropriation
dont le premier temps est l’écoute. À quoi la chose est-elle semblable ? Jacques Chopineau, Lire la Bible, Ed. de l'Alliance, Lillois, 1993, p.36-39 (22) Gœthe, Faust, I, vers 1936 à 1939 |