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Bible et Liberté |
Lire la Bible - 9. Les mythes | Imprimer |
Le langage du mythe est un langage universellement humain
: en tous temps et en tous lieux, l’homme en marche vers son pôle
s’est constitué, sous une forme imagée, le langage
des jalons et des obstacles qu’il doit rencontrer. Tous les mythes
sont nés de la même réalité : l’homme
et les conditions de son évolution possible. L’oubli du mythe
traduit la mort d’une culture religieuse. Toute religion vivante
puise dans le langage du mythe ses racines les plus profondes. On a voulu, surtout au siècle dernier, considérer
le mythe comme un stade préliminaire (et pour ainsi dire : inférieur)
de la religion. Ou encore comme une sorte de métaphysique naturelle
et naïve qu’il importait de déchiffrer rationnellement.
Il était courant d’entendre (mais on l’entend encore)
que la pensée biblique avait dépassé ce stade et
qu’elle avait «historicisé» les anciens mythes
et «désacralisé» ces histoires primordiales.
Mais peut-on chasser le «mythe» du récit biblique pour
en faire de la bonne et vraie histoire racontable à un public rationnel
? Et cette histoire «mythique» est toute entière
le symbole de ce que nous sommes encore et de ce vers quoi nous allons.
Pris dans ce regard, les récits du début du livre de la
Genèse ne font que résumer par avance (mais non «avant»
au sens chronologique) l’expérience de tout un peuple. Ainsi
: la création qui récapitule toutes les autres créations,
la «chute» qui récapitule toutes les chutes, le meurtre
d’Abel qui ouvre la porte à tous les meurtres par lesquels
Caïn n’en finit pas de tuer Abel, la tour de Babel: image de
toutes les tours que les hommes édifient. Toute l’histoire biblique (mise en forme pour être
racontée) est accrochée à ce que nous nommons «mythe».
À l’inverse, une idée «biblique» (un extrait
sec dont la matière première serait le récit biblique)
voudrait que l’on discerne un «sens» des événements
derrière les événements de l’histoire. C’est ainsi qu’on fait de la «théologie
biblique». Mais il est toujours périlleux d’extraire
le sens après dessiccation (10) de la chair du récit. La
simple re-récitation de ces récits bibliques donne mieux
à entendre ce que les rédacteurs y voyaient. Eux, ils voyaient
du point de vue d’une communauté présente et future.
Mais hors communauté, le danger est grand de faire de la théologie
«in vitro» et de ne voir dans les histoires racontées
que de l’histoire (passée) intelligible. Au contraire, les anciens ont utilisé une manière
(plutôt qu’une «méthode»), aujourd’hui
bien décriée, qui est une lecture dite «typologique»
et dont le Nouveau Testament offre plusieurs exemples. Quatre grands moments dont les deux extrémités
sont au plus haut, tandis que les deux intermédiaires sont au plus
bas. Tel est le schéma intérieur de toutes ces histoires
de descentes et de remontées qui foisonnent dans la Bible, ces
chutes suivies d’un rétablissement après un temps
d’épreuve, ces tribulations dont la fin est un statut nouveau,
meilleur encore que le premier. C’est Job frappé et rétabli;
c’est Jonas remonté du fond des mers; Joseph sorti de la
fosse, puis de la prison. C’est aussi le peuple tiré de la servitude
de l’Égypte ou l’Israël ramené de la captivité.
Et c’est aussi le chemin de cette humanité appelée
à un avenir qui est un Retour, non un retour en arrière
mais une remontée selon la deuxième branche du grand U.
C’est à cette perspective que se réfère le
Nouveau Testament en faisant du Christ le nouvel Adam. La mise en forme
du passé procède ainsi d’une vision de l’avenir.
En fait, elle n’est que cela. La mise en forme est visionnaire parce
qu’elle est destinée à être un support de compréhension,
et non d’abord une histoire à prendre au pied de la lettre.
Le danger d’une certaine typologie a été de perdre de vue l’enracinement charnel des protagonistes et/ou des événements, ne voyant que des «types» généraux et abstraits dans les récits. Un autre danger a consisté à ne voir dans les événements que ce qui pouvait «préfigurer» ce que la doctrine allait dire. Dès lors, on ne pouvait plus «lire» dans le texte que ce que la doctrine en disait. Mais ces dangers font largement partie de l’histoire
ancienne. Plus actuel serait qu’au terme d’une analyse savante,
on ne voit plus dans ces textes que ce qui est conforme au fonctionnement
de notre pensée. La «réalité» n’étant
alors qu’une structure générale et abstraite. Seule
une réalité structurée par le langage peut être
appréhendée par la pensée et se couler dans le moule
du langage discursif. Pourtant, une réalité non structurée,
vague et mal pensée, forme la matière de la plus grande
partie de notre vie. Et si la vie n’est pas entièrement rationnelle
: comment la lecture le serait-elle? C’est ainsi que le lecteur est poussé à chercher dans le texte de la Bible un éclairage vital. La lecture, ce n’est que cela… Jacques Chopineau, Lire
la Bible, Ed. de l'Alliance, Lillois, 1993, p.20-24 |