Une sortie d’Egypte
Sur ce texte biblique –« les dix paroles »-
bien des commentaires ont été écrits.
Il ne s’agit ici que d’indiquer un point de vue
sur un aspect souvent passé sous silence : le lien
intime entre loi et liberté.
Le début du texte des dix commandements est :
« Je
suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du
pays d’Egypte,
de la maison de servitude… » Exode 20,2 (Deutéronome 5,6)
Le
texte est bien connu, mais on oublie souvent que le premier mot est une parole
de libération. L’Egypte est ici le nom de la servitude (cf. Exode
1). En effet, seuls des êtres libres peuvent accepter une loi. Des
esclaves ne le peuvent pas.
Les esclaves ne peuvent que subir une loi imposée
par une puissance ennemie. Par contre, un peuple est constitué par
une loi commune à tous.
Pas de Loi véritable sans une sortie préalable de l’esclavage.
L’alternative est celle-ci : ou bien être
esclave seul (chacun pour soi), ou bien être un membre
du peuple qu’une même
loi (« thora »)
constitue. Pas de peuple, ni de clan, ni de tribu, ni même de famille,
sans une loi commune. Tout groupe humain est ainsi constitué.
D’ailleurs, même une meute de loups
obéit à sa
loi. Supprimer la loi, serait défaire la meute. Par contre,
pour un chien domestique, la loi du maître est sa loi -comme
pour l’esclave.
Mais, dans une société humaine, la loi commune est ce
lien qui unit tous les membres du groupe –quel qu’en soit
le mode de constitution.
Ainsi, le don de la Loi suppose la sortie
de l’esclavage. Cette sortie
prendra historiquement les allures d’une révolution –religieuse,
en l’occurrence. Mais on sait que toute révolution implique
l’instauration
d’une loi nouvelle. Il n’est pas de révolution
faite dans l’observance d’une loi ancienne. Une révolution
ne respecte pas les lois : elle les change ! Ainsi est la nouvelle
Loi du peuple qui marche à la
suite de Moïse.
Loi ou Thora
Le mot hébreu « thora » est
habituellement traduit par « Loi ».
Mais cette traduction nous égare en ce qu’elle met l’accent
sur le seul aspect juridique et contraignant de cette « thora ».
Bien sûr, cet aspect existe, mais il est loin d’être
le seul. Il convient de le rappeler.
La « thora » est
un enseignement au sujet de ce qui est vrai, juste, bon. Dans une
situation concrète : une réponse est donnée à la
mesure de la question. Et dans tous les cas, la finalité est
la vie.
«choisis
la vie, afin que tu vives » Deutéronome
30,19
Ainsi, le fruit de la justice est la vie. Ce
qui ne se réduit pas à une conformité réglementaire ! En même
temps, cette loi est un repère, non un absolu. La Loi est l’indice
d’un bien plus grand, non une norme intangible. Il y a là un vieux
débat : « Est-il permis de faire une guérison le jour du
sabbat ? » (Matthieu 12,10). Le respect de la loi n’est pas un formalisme
aveugle. On l’a toujours su.
« Je mettrai
ma loi au-dedans d’eux, je l’écrirai
sur leur cœur»
Jérémie 31,33
« Ta loi est au fond de mes entrailles » Psaume 40,9
Voilà bien une loi parfois non écrite
dans les textes, mais écrite
au plus intime de la personne. Il appartient à cette
personne de retrouver
en elle-même cette loi en consonance avec la réalité –ce
qui n’est pas toujours une tâche facile.
Une loi
de liberté
« parlez
et agissez comme des gens qui vont être
jugés d’après une loi de liberté » Jacques
8,12
Loi… liberté ! Les termes peuvent
paraître
antagonistes. Pourtant, la loi est aussi créatrice
de liberté. Que serait –par exemple-
la liberté de la route, si aucune loi n’imposait
la conduite à droite
! Et là où la loi impose la conduite à gauche,
il importe que tous se conforment à la loi du pays.
Grâce à cette loi,
chacun est libre de circuler là où bon lui
semble. Mais sans cette loi, toute circulation serait immédiatement
dangereuse ! De là,
un « code » qui est à la fois une contrainte
et une liberté.
Il en est ainsi dans tous les pays.
Rappelons le dit talmudique : « La
loi du pays, c’est la loi » (dînâ de-malkhûtâ dînâ,
disait-on en araméen).
Et qu’en est-il d’une
loi « religieuse » comme
doit être
qualifiée la « thora » ? Cette « thora » est
jugement (dîn signifie « jugement » en
hébreu, « loi » en
araméen, « religion » en arabe).
C’est
une loi comparable aux lois non écrites
revendiquées
par Antigone, ou par les juges du procès de Nurnberg.
Elle est proche de cette loi « inscrite dans les cœurs,
dont parlait le prophète
Jérémie.
Dans la perspective traditionnelle,
celui qui donne la loi est Dieu. L’auteur
n’est donc pas, ici, la majorité d’un
parlement élu.
Les majorités, d’ailleurs, sont provisoires
et le « bien » qu’elles
définissent est une réalité toujours
visée, certes,
mais non toujours atteinte. Regarde en toi-même, O
citoyen !
Jacques Chopineau, Genappe
le 3 juillet 2007 |