Logique ou sagesse ?
Dès
l’école, nous apprenons la logique –même
si c’est dans une forme élémentaire.
Mais la sagesse n’est jamais l’objet d’un
enseignement, sauf sous cette forme proprement intellectuelle
appelée philosophie.
«
Malheur à la nation qui abandonne la religion pour
les sectes, les champs pour la ruelle et la sagesse pour
la logique »
Khalil Gebran (Waylât Gebrân : les malédictions)
Le
même auteur dit ailleurs (dans les « Hikam » -ces
dits de sagesse) :
«
Beaucoup de sectes (ou d’idéologies : sens du mot pluriel
arabe « madhâhib »)
sont comme les vitres d’une fenêtre : on voit la vérité à travers
elle, mais elle nous sépare de la vérité »
On
peut voir, mais non toucher. Il en est ainsi de tout découpage
qui ne serait que verbal ou, comme on dit, « pensé ».
On peut « voir juste » et –éventuellement-
s’en tenir aux définitions « justes ».
Le paquet est beau mais que contient-il ?
Notre logique découpe
la réalité de façon massive.
Toutes nos logiques supposent –au moins- que trois « principes » commandent
notre perception de la réalité : Le principe d’identité,
le principe de non-contradiction et le principe du tiers exclu.
Reprenons
ces « fondements » de notre logique « scientifique ».
On en conviendra : Une chose peut être vraie « en
soi » et
ne correspondre à rien dans l’expérience. A =
B, dit-on, donc B = A. Encore faut-il savoir à quoi l’affirmation
est appliquée.
Une boutade dit : « l’argent, c’est de
la crotte, mais la crotte n’est pas de l’argent ! ».
Dans ce cas –certes, métaphorique- A = B, mais B n’est
pas égal à A !
Il en va souvent ainsi dans les situations vécues…
Au-delà de
toute boutade, il est vrai que notre logique est souvent bornée
par un jeu d’oppositions simples : « vrai-faux », « oui-non », « avant-après » etc… Comme
en informatique, le binaire est roi ! Mais dans la réalité vécue,
c’est le ternaire qui sonne juste :
A : oui
B : non
C : je ne sais pas
La sagesse s’enracine dans
ce troisième élément. Je
ne sais pas… et je cherche, j’écoute, je découvre
ce qui n’est écrit dans aucun livre. La sagesse n’est
pas mentale, mais expérimentale. D’ailleurs, la vérité des
uns n’est pas toujours celle des autres.
Il est clair que la
vie n’est pas toujours rationnelle. Et la sagesse s’articule
sur la vie, non sur la raison. Certes, il y a plusieurs degrés
de rationalité.
Bon sens, logique, réalisme… qualifient une adéquation à la
vie vécue. Même la folie a sa logique propre. Un discours
fou peut paraître « logique » pour
celui qui le tient.
Sagesse biblique
La Sagesse biblique ou talmudique, comme
aussi de nombreux dits de sagesse arabes et des écrits
orientaux (bouddhiques ou védantiques)… sont
le véhicule d’une ancienne observation profonde
de la réalité.
Des milliers de proverbes et autres dits de sagesse nous transmettent,
ou nous rappellent, un savoir essentiel.
Le sujet est immense…Bornons-nous
ici à ce qu’on a parfois
appelé, dans les études bibliques, les « Proverbes
contradictoires » -lesquels,
au vrai, ne seraient « contradictoires » que
pour une logique superficielle. D’autre part, la forme
poétique de ces proverbes
bibliques -si elle est facile à mémoriser dans
la langue originale- résiste à la traduction
(celle qui est ici choisie est la Nouvelle Bible Segond).
«
Celui qui agit d’une main nonchalante s’appauvrit ;
la main des hommes actifs les rend riches »
Proverbes 10,4
«
C’est la bénédiction du Seigneur qui rend riche ;
il n’y ajoute aucune peine »
Proverbes 10,22
Au paresseux, il convient de dire « travaille !»,
mais à celui
qui travaille sans cesse, il convient de rappeler que seule
la bénédiction
enrichit.
«
Ne réponds pas à l’homme stupide selon son imbécillité
de peur de lui ressembler toi-même »
Proverbes 26,4
À quoi fait écho le verset suivant :
«
Réponds à l’homme stupide selon son imbécillité
de peur qu’il ne se croie sage »
Proverbes 26,5
À l’un il faut dire ceci ;
mais à l’autre,
il faut dire cela. Telle est la sagesse : dire à chacun
ce qui convient, présentement. Car la vérité est
mouvante. Elle n’est
enfermée dans aucune formulation. Seule l’expérience
en fait gouter la saveur.
«
Une épine d’ajonc dressée dans la main d’un
ivrogne,
telle est une maxime dans la bouche des gens stupides »
Proverbes 26,9
Notre science est grande. Notre sagesse est
petite. L’une
n’est rien
dans le champ de l’autre. Les piliers de l’une
ne tiennent pas sur le terrain de l’autre. Un raisonnement
peut être impeccable dans
la forme et aberrant dans la réalité.
La
sagesse n’est pas bornée par la raison. La
même rationalité conduit
la recherche d’un nouveau vaccin ou la conception
d’une arme mortifère.
Sans doute, la raison est universelle, mais elle est aussi
une aile rigide qui ne connaît que ce qu’elle
découpe. Et son découpage
n’a de sens que dans son propre son champ d’application.
Et comment le sait-on ? Par sagesse…
Jacques
Chopineau, Genappe le 18 octobre 2006 |