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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

- Des prophètes

- Une relecture actualisante : Jonas

- Un parallèle dans le texte coranique

 

   


La repentance d'un peuple

 

 

Des prophètes

La religion biblique est une religion prophétique.
Parmi d’autres conséquences, cela s’oppose à la notion de religion majoritaire égale vérité pour tous. Majorité n’est pas vérité. Les prophètes sont des isolés. Actualisateurs dans une situation particulière d’une exigence fondamentale, permanente, essentielle ou –dans le langage traditionnel- inscrite dans la loi divine.

Souvent (les exemples bibliques sont nombreux) les paroles des prophètes vont à contre-courant de la religion majoritaire. Et de même, le prophète de l’Islam a dû combattre, en son temps, des oppositions nombreuses.
Un prophète n’est jamais, au départ, un dignitaire religieux.

Jérémie est un bel exemple de cette différence entre une vérité reçue par tradition et une exigence actuelle. Par le livre qui porte son nom, nous connaissons le destin tragique de ce prophète Jérémie, du commencement à la fin de cette vie. C’est d’ailleurs le prophète biblique dont nous connaissons le mieux la vie personnelle.

Nous connaissons, entre autres, sa vocation (Jérémie 1,11ss), son fameux “discours du Temple” (Jérémie 7. Cp parallèle en prose au chapitre 26), sa lettre aux déportés (Jérémie 29,1ss)… Et même cette “première édition” de ses paroles, grâce au scribe Barukh et malgré la volonté contraire du roi d’alors (cf Jérémie 36).

C’est aussi un prophète dont les paroles transmises par écrit ont été abondamment relues après l’exil. De là, des gloses, compléments, ajouts de toutes sortes. Autant d’indices de l’actualité ressentie de ces paroles dans une situation nouvelle.

C’est qu’une parole prophétique reste, des siècles plus tard, une parole prophétique relue et entendue à nouveau, dans un contexte différent. Malgré l’usage aujourd’hui courant, un prophète ne peut être réduit à un “prédicteur” d’événements à venir. Longtemps après les événements, cette parole prophétique demeure une parole actuelle.

Un livre de rédaction tardive est témoin de ces “relectures”. C’est le livre de Daniel et son interprétation de la prophétie des 70 « semaines » (Daniel 9,2). Mais un autre livre biblique se fait l’écho d’un autre texte de Jérémie : le livret de Jonas.

Une relecture actualisante   

« Tantôt je décrète de déraciner, de renverser et de ruiner une nation ou un royaume. Mais si cette nation se convertit du mal qui avait provoqué mon décret, je renonce au mal que je pensais lui faire ». Jérémie 18,7-8

Un tel “cas” n’est jamais illustré par un livre biblique. Sauf cependant par le livret de Jonas, livret qui pose un grand nombre de problèmes sur lesquels on ne peut s’étendre ici. Relevons seulement que le prophète illustre le cas d’une ville impie, menacée de destruction, qui se repent et qui , à cause de sa repentance, est épargnée, au grand dam du prophète Jonas (Cf Jonas 4,2).

Le livret de Jonas veut illustrer ce changement radical du peuple qui est la cause du changement de la décision divine. Un point étonnant est que ce changement se produit à Ninive (l’ancienne capitale de ces assyriens ennemis) et que le prophète Jonas -cas unique- est envoyé à ces assyriens !

Les apparentes difficultés “historiques” ne seraient pas ici à leur place.
On s’est pourtant posé de telles questions. Par exemple :
- Quelle était l’espèce du poisson ?
- Peut-on vivre trois jours dans le ventre d’un monstre marin ?
- Comment s’appelait le « roi de Ninive » ?
- En quelle langue le prophète s’est-il adressé aux assyriens ?
La vérité de ce texte est au-delà de ces questions, lesquelles ont cependant occupé bien des savants, dans le passé.

Mais la conversion de Ninive est un tout autre phénomène. Remarquons qu’un tel changement des mentalités ne s’est jamais produit à Jérusalem où, cependant, les prophètes n’ont pas cessé d’exhorter les habitants de la Ville.

On pense à ces paroles de Jérémie qui - au moment où l’armée ennemie s’approchait de la Ville et que le peuple cherchait un refuge dans le Temple - proclamait :

« Ne vous bercez pas de paroles illusoires en répétant : Temple du Seigneur ! Temple du Seigneur ! Temple du Seigneur ! Il est ici ! Mais plutôt amendez sérieusement votre conduite, votre manière d’agir…» Jérémie 7,4

Le prophète n’a pas été entendu et la Ville a été détruite. Au contraire, selon le livre de Jonas, de ce qui se passe à Ninive. La “règle” est énoncée clairement par Jérémie 18,7sq. Dieu ne détruit pas un peuple qui se repent, même si une parole prophétique annonce cette destruction.

Un parallèle dans le texte coranique   

Nombreux sont les personnages bibliques cités dans le texte coranique (Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob, Jésus, Job, Jonas…). Cependant, on sait que dans l’ensemble qu’on nomme couramment “les prophètes bibliques” (les 3 “grands” et les 12 “prophètes mineurs”), Jonas est le seul qui soit nommément cité, plusieurs fois.

Une sourate même porte son nom (Sourate X : sûrat Yûnus). Mais le prophète est parfois nommé « le compagnon du cétacé » (SâHib l-Hût) ou
« celui au poisson » (dhu n-nûn).

Manifestement, la figure de Jonas est bien connue. En sorte que le lecteur du texte coranique connaît cette aventure biblique.

Entre la Bible et le Coran, les parallèles sont nombreux. Un savant comme Ibn Ezra ne pouvait l’ignorer - lui qui savait l’arabe (dans la Grenade du 12ème s. !) et qui était un esprit profond et subtil. En particulier, il est peu probable qu’il ait ignoré ce texte :

« …En vérité, Allah ne modifie rien en un peuple, tant qu’ils ne changent pas quelque chose en eux-même… » Sourate XIII,11

Dans son commentaire de Jonas, Ibn Ezra rapproche Jonas et Jérémie :
« C’est comme : tantôt je parle » (ce qui est le texte de Jérémie 18,7).
C’est aussi (mais évidemment cela n’est pas dit dans le commentaire) l’enseignement coranique.

Ainsi, un savant juif de cette grande époque de l’Espagne musulmane (en hébreu : “l’âge d’or”, teqûfat ha-zahab) témoignerait, à sa manière, d’une convergence entre le contenu d’un texte biblique et d’un texte coranique.

Ce n’est certes pas le seul exemple de texte biblique qui trouve un tel écho coranique. Il ne faudrait pas que l’actualité tragique en Palestine, cache la longue histoire commune et les similitudes entre le Judaïsme et l’Islam.

Quoi qu’il en soit, on peut retenir ici cette similitude : un peuple qui se repent de ses crimes (quel que soit ce peuple) ne sera jamais anéanti. Inversement, un peuple qui se fie dans sa seule force est, à terme, menacé.

Jacques Chopineau, Genappe, le 12 juillet 2004