Des
prophètes
La religion biblique
est une religion prophétique.
Parmi d’autres conséquences, cela s’oppose à la
notion de religion majoritaire égale vérité pour
tous. Majorité n’est pas vérité.
Les prophètes sont des isolés. Actualisateurs
dans une situation particulière d’une exigence
fondamentale, permanente, essentielle ou –dans le langage
traditionnel- inscrite dans la loi divine.
Souvent (les exemples
bibliques sont nombreux) les paroles des prophètes
vont à contre-courant de la religion
majoritaire. Et de même, le prophète de l’Islam
a dû combattre, en son temps, des oppositions nombreuses.
Un prophète n’est jamais, au départ,
un dignitaire religieux.
Jérémie est un bel
exemple de cette différence
entre une vérité reçue par tradition
et une exigence actuelle. Par le livre qui porte son nom,
nous connaissons le destin tragique de ce prophète
Jérémie, du commencement à la fin de
cette vie. C’est d’ailleurs le prophète
biblique dont nous connaissons le mieux la vie personnelle.
Nous connaissons,
entre autres, sa vocation (Jérémie
1,11ss), son fameux “discours du Temple” (Jérémie
7. Cp parallèle en prose au chapitre 26), sa lettre
aux déportés (Jérémie 29,1ss)… Et
même cette “première édition” de
ses paroles, grâce au scribe Barukh et malgré la
volonté contraire du roi d’alors (cf Jérémie
36).
C’est aussi
un prophète dont les paroles
transmises par écrit ont été abondamment
relues après l’exil. De là, des gloses,
compléments,
ajouts de toutes sortes. Autant d’indices de l’actualité ressentie
de ces paroles dans une situation nouvelle.
C’est qu’une
parole prophétique reste,
des siècles plus tard, une parole prophétique
relue et entendue à nouveau, dans un contexte différent.
Malgré l’usage aujourd’hui courant, un
prophète ne peut être réduit à un “prédicteur” d’événements à venir.
Longtemps après les événements, cette
parole prophétique demeure une parole actuelle.
Un
livre de rédaction tardive est témoin de
ces “relectures”. C’est le livre de Daniel
et son interprétation de la prophétie des 70 « semaines » (Daniel
9,2). Mais un autre livre biblique se fait l’écho
d’un autre texte de Jérémie : le livret
de Jonas.
Une relecture actualisante
« Tantôt
je décrète de déraciner, de renverser
et de ruiner une nation ou un royaume. Mais si cette nation
se convertit du mal qui avait provoqué mon décret,
je renonce au mal que je pensais lui faire ». Jérémie
18,7-8
Un tel “cas” n’est
jamais illustré par
un livre biblique. Sauf cependant par le livret de Jonas,
livret qui pose un grand nombre de problèmes sur lesquels
on ne peut s’étendre ici. Relevons seulement
que le prophète illustre le cas d’une ville
impie, menacée de destruction, qui se repent et qui
, à cause de sa repentance, est épargnée,
au grand dam du prophète Jonas (Cf Jonas 4,2).
Le
livret de Jonas veut illustrer ce changement radical du peuple
qui est la cause du changement de la décision
divine. Un point étonnant est que ce changement se
produit à Ninive (l’ancienne capitale de ces
assyriens ennemis) et que le prophète Jonas -cas unique-
est envoyé à ces assyriens !
Les apparentes
difficultés “historiques” ne
seraient pas ici à leur place.
On s’est pourtant
posé de telles questions. Par exemple :
- Quelle était
l’espèce du poisson ?
- Peut-on vivre trois jours
dans le ventre d’un monstre marin ?
-
Comment s’appelait
le « roi de Ninive » ?
- En quelle langue le prophète
s’est-il adressé aux assyriens ?
La vérité de
ce texte est au-delà de ces questions, lesquelles
ont cependant occupé bien des savants, dans le passé.
Mais la conversion
de Ninive est un tout autre phénomène.
Remarquons qu’un tel changement des mentalités
ne s’est jamais produit à Jérusalem où,
cependant, les prophètes n’ont pas cessé d’exhorter
les habitants de la Ville.
On pense à ces paroles
de Jérémie qui
- au moment où l’armée ennemie s’approchait
de la Ville et que le peuple cherchait un refuge dans le
Temple - proclamait :
«
Ne vous bercez pas de paroles illusoires en répétant
: Temple du Seigneur ! Temple du Seigneur ! Temple du Seigneur
! Il est ici ! Mais plutôt amendez sérieusement
votre conduite, votre manière d’agir…» Jérémie
7,4
Le
prophète n’a pas été entendu
et la Ville a été détruite. Au contraire,
selon le livre de Jonas, de ce qui se passe à Ninive. La “règle” est énoncée clairement
par Jérémie 18,7sq. Dieu ne détruit
pas un peuple qui se repent, même si une parole prophétique
annonce cette destruction.
Un parallèle dans le texte coranique
Nombreux sont les personnages bibliques cités
dans le texte coranique (Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob,
Jésus,
Job, Jonas…). Cependant, on sait que dans l’ensemble
qu’on nomme couramment “les prophètes
bibliques” (les 3 “grands” et les 12 “prophètes
mineurs”), Jonas est le seul qui soit nommément
cité, plusieurs fois.
Une sourate même porte
son nom (Sourate X : sûrat
Yûnus). Mais le prophète est parfois nommé « le
compagnon du cétacé » (SâHib l-Hût)
ou « celui
au poisson » (dhu n-nûn).
Manifestement,
la figure de Jonas est bien connue. En sorte que le lecteur
du texte coranique connaît cette aventure
biblique.
Entre la Bible et le Coran, les parallèles
sont nombreux. Un savant comme Ibn Ezra ne pouvait l’ignorer
- lui qui savait l’arabe (dans la Grenade du 12ème
s. !) et qui était un esprit profond et subtil. En
particulier, il est peu probable qu’il ait ignoré ce
texte :
« …En vérité, Allah
ne modifie rien en un peuple, tant qu’ils ne changent
pas quelque chose en eux-même… » Sourate
XIII,11
Dans son commentaire de Jonas, Ibn
Ezra rapproche
Jonas et Jérémie : «
C’est comme
: tantôt
je parle » (ce qui est le texte de Jérémie
18,7).
C’est aussi (mais évidemment cela n’est
pas dit dans le commentaire) l’enseignement coranique.
Ainsi, un savant juif de cette grande époque
de l’Espagne
musulmane (en hébreu : “l’âge
d’or”,
teqûfat ha-zahab) témoignerait, à sa
manière, d’une convergence entre le contenu
d’un texte biblique et d’un texte coranique.
Ce n’est certes pas le seul exemple
de texte biblique qui trouve un tel écho coranique.
Il ne faudrait pas que l’actualité tragique
en Palestine, cache la longue histoire commune et les similitudes
entre
le Judaïsme
et l’Islam.
Quoi qu’il en
soit, on peut retenir ici cette similitude : un peuple
qui se repent de ses crimes
(quel que soit ce
peuple) ne sera jamais anéanti. Inversement, un
peuple qui se fie dans sa seule force est, à terme,
menacé.
Jacques Chopineau, Genappe, le 12 juillet
2004
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