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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

 

 

   


Genèse.
Les premiers chapitres de la Bible…

 

 

6. La ville et la tour

On dit « la tour de Babel ». On devrait dire : « la ville et la tour ». En effet, la tour n’est que la partie la plus haute de cette ville qui devait unir les hommes. Le résultat obtenu est exactement inverse : la dispersion sur toute la surface de la terre ! Groupés, les hommes devaient se comprendre. Dispersés, ils ne se comprendront plus.

Parfois, on a voulu voir dans cette langue pré-babélienne une langue qui serait la langue mère de toutes les langues humaines. Au début du dix-neuvième siècle encore, on a cherché à faire dériver toutes les langues d’une seule « langue sainte », littéralement. La linguistique n’était pas encore née. Les fantasmes « édifiants » pouvaient s’appuyer sur fantasmagories.

Mais est-ce de cela que le texte nous parle ?

L’étymologie de « Babel » est rapprochée de « bll » (« confondre », cf verset 11,9). C’est philologiquement impossible (tout sémitisant - même débutant - le sait), mais cette « étymologie » est hautement significative. Il s’agit de pédagogie sapientiale -non de linguistique. Au lieu d’un « bâb ‘ilânî » (« la porte des dieux »), les scribes ont voulu y voir un rapprochement avec la grand’ville nommée « Babel » (« confusion », « brouillage ») comme si ce nom désignait le lieu de la confusion. Là, on mélange tout, depuis le début. La langue et la parole, le bitume et le béton, la pierre et la brique… Les jeux de sonorité abondent dans ce texte et les traductions ne les rendent que faiblement. Dans tous les cas, sagesse et pédagogie ont ici plus de poids que l’étymologie savante !

Ce bref récit nous donne la raison de cette situation actuelle… Car le point de départ de cet enseignement des scribes sages qui ont mis ce récit en forme narrative, est la situation actuelle des hommes divisés et qui ne comprennent pas. Lors même qu’ils vivent entassés dans des tours de en plus haut, ils ne se comprennent ni ne se connaissent. Même en parlant, apparemment, la même langue ! Profonde actualité de cette parole perdue… De cette « langue » par laquelle les hommes pourraient se comprendre. Voyons comment cette aventure - très actuelle - nous est racontée, en nous bornant à l’intention et en imitant la démarche des anciens (nous choisissons ici une traduction littérale, même si elle prend des libertés avec l’usage français) :
« Toute la terre était langue une et paroles quelques »
Genèse 11,1

Autrement dit - selon une interprétation fort ancienne - ils avaient une « langue sainte » commune et des idiomes particuliers à chaque peuple ou tribu. Ce qui sera perdu est cette « langue ». Ne resteront que les mots des langages humains, lesquels sont des « paroles », mais non « la parole ».

« Dans leur voyage depuis l’Est, ils trouvèrent une plaine, au pays de Sinéar. Et ils résidèrent là » Genèse. 11,2

Cette marche vers l’occident est le chemin de la civilisation caïnite. C’est aussi la marche du soleil. L’origine est appelée « orient ». Ici, c’est le pays de Sinéar (la région de Babylone –au cœur de la Mésopotamie) qui est indiqué, mais la terre est ronde et cette « marche » symbolique peut s’appliquer à toutes les plaines…. Pourquoi une plaine ? C’est que les plaines sont le lieu de convergence des tous les courants : les fleuves et les échanges. Toute civilisation est d’aval. 

Ils trouvèrent…
Ils cherchaient un lieu où s’arrêter. L’homme est un pèlerin. Voyageur comme Abel. Mais Caïn est sédentaire. Les propriétaires sont sédentaires.

Là est l’essentiel de ce texte, lors même que beaucoup d’autres remarques pourraient être faites (« jeux » de mots, assonances, reprises significatives). Une situation actuelle est révélée : les hommes ne se comprennent pas. Leur marche vers l’Ouest et leur rêve de puissance (« se faire un nom » dit le texte) les éloigne de l’essentiel : ils ont perdu la « langue » par laquelle ils pouvaient communiquer. Ne sont restées que les « paroles » par lesquelles l’un peut tromper l’autre. Des restes de « langue » subsistent cependant dans les langages religieux ou artistiques. Et dans quelques circonstances exceptionnelles, mais cela serait une autre histoire…

Jacques Chopineau, Genappe, 27 juin 2003