CORRESPONDANCE UNITARIENNE    avril 2005

Le partage de la parole

Actualités
unitariennes


n° 42

Au fond, à la lecture des évangiles,
ce qui fait la valeur d’une vie humaine,
est-ce le fait que la personne en question croit ou pas en Dieu,
qu’elle croit ou pas en une vie après la mort ?
S’agissant de ces deux questions,
la seule vérité, pour vous comme pour moi, c’est que nous n’en savons rien !
Croyants et incroyants, nous ne sommes séparés que par ce que nous ignorons.
Il serait paradoxal d’attacher plus d’importance à ce que nous ignorons,
qui peut sembler nous séparer,
qu’à ce que nous connaissons très bien, d’expérience, et qui nous rapproche :
ce qui fait la valeur d’une vie humaine, ce n’est pas la foi, ce n’est pas l’espérance,
c’est la quantité d’amour et de courage dont on est capable.

André Comte-Sponville (A-t-on besoin d’une religion, Paris : les Editions ouvrières, pp. 61-62).
L’auteur se déclare athée, mais fidèles aux valeurs gréco-judéo-chrétiennes qui sont les nôtres (p. 58)
paru dans La Lettre des Amis, mars 2004, p. 10

Le partage de la parole
par Jean-Claude Barbier,
chrétien unitarien

Nos bulletins, par l’article en première page et la rubrique des « libres propos », donnent la parole aux uns et aux autres. Nos informations se font volontiers l’écho des activités de divers mouvements. C’est dire que nous ne voulons pas monopoliser la parole par des éditoriaux ou encore des homélies. Nous voulons éviter le nombrilisme en ouvrant nos pages à des amis qui ne sont pas tous unitariens. A l’exemple de nos congrégations, nous ne demandons pas de credo. Nous pensons ainsi refléter une certaine diversité spirituelle qui s’est instaurée dans nos sociétés avec les progrès de l’individuation.

Le temps est révolu où la société civile était placée dans un seul pays, animée d’une seule foi et sous l’autorité d’un seul roi. Mais aussi celui des paroisses réunissant des fidèles partageant les mêmes croyances. Assurément nos assemblées cultuelles sont maintenant bien loin de l’unanimité requise par les credo ou autres déclarations de principe. Bien sûr, on peut jouer au dénominateur commun, ou encore adopter la langue de bois du minimum consensuel. Mais ne serait-il pas préférable, au contraire, de choisir la voie de l’expression personnelle, de la parole forte, du geste symbolique, de l’émotion, de la sainte colère … ? Bref, une parole qui a vraiment quelque chose à dire aux autres…

La parole partagée est dite par quelqu’un et écoutée par tous les autres participants. Elle n’appelle pas de réponse, encore moins de contestation. Il ne s’agit nullement d’ouvrir un débat, ni même d’entamer un dialogue. Elle est suivie d’un silence d’accueil ou de notes de musique discrètement égrenées. Ni amen ou autre approbation bruyante. L’écoute est bienveillante, méditative, voire empathique, mais la liberté de pensée est respectée. Chacun est compris dans son propre itinéraire spirituel et religieux, dans ses croyances qui lui tiennent à cœur, dans sa tradition, dans les formes culturelles de son langage et de sa gestuelle, mais il reste seul responsable de ses choix, de ses références, de ses interprétations, de son discours.

Cette parole est égalitaire. Elle circule dans l’assemblée. Elle n’est pas monopolisée par un spécialiste du sacré, un clerc enseignant ou un président chef d’orchestre. Les conférences, homélies ou explications de textes peuvent se faire avant ou après, mais le partage de la parole n’est pas un exercice savant. Il s’agit véritablement d’une communion au sein d’une assemblée fraternelle.

Les libres propos qui suivent ne constituent donc pas une simple liste d’opinions. Nous les choisissons pour leur densité humaine, parce qu’ils expriment un essentiel qui, très souvent, sort des tripes, d’une expérience vécue intensément, d’une subjectivité qui émerge comme un volcan. Je ne sais pas si Dieu nous parle avec un grand « P » comme le pensent les fidèles des monothéismes révélés, mais assurément Dieu, s’il existe, n’est pas loin de telles paroles humaines.

Libres propos

Les curés partent, les femmes dansent !

(ndlr : titre donné par la rédaction au texte suivant)
Marianne Putallaz, dite "La Pastourelle" (Suisse), le 20 septembre 2004

" Quand on n'aura plus le curé, on aura Marianne et cela me rassure" a confié à ma mère une de ses amies au sortir d'une messe où j'avais non seulement fait office de lectrice et d'animatrice, mais encore de …prédicatrice ! En effet, s'il est une égalité pour laquelle je me bats en ce début de 21ème siècle, c'est bien pour celle qui accordera les mêmes droits aux femmes et aux hommes de parler de Dieu, de commenter les Ecritures dans une célébration catholique romaine.
Le Pape l'a redit encore dernièrement : seuls les prêtres ont le droit de prêcher. Exclus donc les laïcs et les femmes en particulier puisque le ministère de la Parole, entre autres, ne peut leur être attribué en raison de leur sexe! J'y vois, dans cette interdiction qui en rejoint beaucoup d'autres, la grande peur de la Femme entretenue depuis 20 siècles par un certain christianisme prenant le relais du judaïsme de l'époque et partageant avec l'islam le mépris pour l'intelligence et la spiritualité féminines exprimées au grand jour.
Et pourtant un certain Jésus de Nazareth, accompagné, hébergé, nourri et écouté par des femmes avait tenu un tout autre discours et montré une liberté de ton face aux lois religieuses de son époque. Ce qui lui avait d'ailleurs coûté la vie. Or , aujourd'hui dans notre pays, nous les femmes chrétiennes nous pouvons nous exprimer partout sauf dans les églises catholiques romaines !
Alors, depuis janvier dernier, ce droit que l'on me refuse, je le prends. Et mes témoignages ou mes éclairages sur tels versets bibliques plaisent à cette majorité de femmes âgées qui assistent religieusement à l'office, dans la petite chapelle du village. C'est comme un vent frais qui souffle tout d'un coup et une sensibilité différente, proche d'elles qui s'exprime. En moi, elles se reconnaissent : je suis leur fille, leur voisine, leur cousine. Elles m'ont transmis le flambeau de la recherche spirituelle et ma victoire aujourd'hui est la leur: une liberté qui ne se laisse enchaîner par aucun décret religieux si puissant soit-il.

Doit-on continuer à appeler Jésus « Seigneur » ?

« Mieux vaut servir Jésus-Christ sans le nommer que le nommer sans le servir »,
par Philippe Vassaux, dans Evangile et Liberté, mars 2005, p. 7

« Voici un mot qui est mis à toutes les sauces. Il est vrai que dans l’Ancien Testament, il désigne souvent Dieu et que, dans le Nouveau Testament Jésus est présenté comme le Christ du Seigneur, le Messie de Dieu. Mais le mot kurios peut aussi bien signifier « monsieur » (…). Ne serait-il pas préférable de ne plus attribuer le titre de Seigneur pour parler de Jésus-Christ ? Ne serait-il pas souhaitable d’établir un moratoire, de suspendre l’utilisation d’un mot qui n’a guère de signification pour nos contemporains ? »

Mieux vaut Amos que Jonas!

Lucien Gilles, 15 rue du Puits 34190 Cazilhac,
courrier paru dans « Quelques nouvelles », n° 175, février 2005

C'était dans "Le Monde des livres" du 12 novembre 2004 au fil d'un entretien de Nicolas Weil avec Michael Walzer (philosophe USA qui s'est opposé à la guerre contre l'Irak). Le dialogue s'achevait par ceci : "Nous avons besoin d'un nouvel anticléricalisme qui ne soit pas simplement antireligieux. Mieux vaut Amos que Jonas". Quand bien même JONAS aurait fait moins de victimes à Ninive que G.W. Bush en Irak... Du coup je suis retourné vers Amos ... un gros coup de cœur.
Amos se déchaîne contre le culte, contre l'institution, contre les lieux saints, contre les dîmes et les offrandes, contre les sacrifices, contre les prêtres ... Amos 5 est à relire absolument.
Et me voilà soudain aveuglé par l'analogie avec Jacques Gaillot. Ils rejettent celui qui parle vrai. Amos 5.10. Un prêtre de Béth'el s'en est allé dénoncer Amos au roi d'Israël : il conspire contre toi, on ne peut plus supporter ça ! Amos 7.10. Et c'est le coup de force, comme à Evreux voilà dix ans : Toi le voyant, vas-t-en! Retourne chez toi ! Ne prophétise plus à Béthel, car c'est ici le sanctuaire royal. Jacques, tu nous déranges, tu en fais trop avec ceux-là, contente-toi de Parténia. Dégage ! Nous ici c'est l'Eglise une, sainte, catholique, apostolique et romaine.
L'islam a su se passer du prêtre, spécialiste du sacrifice. Quelle chance ! je me le dis souvent. Et depuis la fin du temple, les Juifs s'en passent aussi. Ce qui compte, c'est l'humain avec le respect de l'autre.
Tout ça très lié à la recherche autour de la communauté de foi, que je ne peux envisager que comme un noyau beaucoup plus "léger" et précaire (en référence à la vision de Marcel Légaut). La communauté de foi commence pour moi lorsque deux ou trois, pour qui Jésus est appel et ferment, décident de chercher ensemble, en dehors de tout schéma ecclésial posé d'avance.
Le temps des sacrifices est derrière nous. Le temps des prêtres aussi. Chaque petite communauté de foi se donne son mode de fonctionnement, son rite, sa liturgie. Que mille fleurs fleurissent ! Pourquoi toujours l'obsession du "même" sur toute la planète ? (…).

Le pain est sacré, qu'on se le dise …

Joël Robuchon, catholique, ancien séminariste,
compagnon du Tour de France, Franc-maçon, grand chef cuisinier,

" C'est quand mon plat est fait avec amour qu'il est réussi",
Le Monde des religions, novembre-décembre 2003, pp. 66-69
.

" J'ai appris à faire mon métier avec le respect pour les produits que nous préparions, avec le plaisir de les préparer et la répugnance pour toute forme de gaspillage. J'ai grandi dans ma profession avec l'obsession que faire de la cuisine, c'est toujours plus ou moins tuer des vies, qu'elles soient animales ou végétales, et c'est respecter les produits que nous travaillons et que nous transformons. Quand on prend vraiment conscience de cela, on ne peut plus cuisiner n'importe comment.
Voir jeter du pain, aujourd'hui encore, demeure pour moi une horreur. Le pain, c'est l'amour, c'est le partage. Quel symbole plus puissant que le pain. Le pain que ma mère signait avec un couteau au moment de le couper sur la table, en le tenant toujours sur sa poitrine et en le distribuant à chacun. Le pain, c'est le grain de blé qui commence à germer. C'est le grain de blé qu'on transforme, dont on fait de la farine. On y ajoute le levain. La levain aussi, c'est la fermentation, c'est-à-dire la vie. Ensuite, on le fait cuire. Au total, le pain a besoin de l'air, de l'eau, du sel, de tout ce qui constitue la vie. Le pain, c'est un mot très fort. […] Le repas c'est la communion. Grâce au repas, les mêmes sentiments traversent toute une table, celui qui fait, celui qui donne, celui qui reçoit"

Silence… Sahara…

André Costabel – 3 rue du Moulin à Vent 30540 Milhaud,
courrier paru dans « Quelques nouvelles », n° 175, février 2005

(…) Se ressourcer, se recueillir dans le silence, et peut-être entendre les clameurs des mystères, quelle belle perspective ! Vivre pendant une période un face à face avec la nature (ce que notre civilisation urbaine ne permet plus), c'est retrouver ce que nous sommes réellement dans le cosmos. Regarder la nuit l'immense valse des milliers de milliards de galaxies, c'est oublier nos prétentions et mesurer dans le concret combien nous sommes infimes. Un exemple : si notre galaxie était ramenée à 100 km de largeur, notre système solaire aurait la dimension d'une tête d'épingle et la terre ne serait visible qu'au microscope. L'univers est démesuré mais les avancées de la science nous permettent d'y déceler une cohérence. La gigantesque usine chimique de l'univers se précise. Elle crée du minéral qui, par la catalyse organique, peut devenir de la matière vivante. C'est au moins ce qu'un ignare comme moi croit comprendre. La question hier farfelue de savoir si nous sommes seuls dans l'univers devient sérieuse et met en cause bien des croyances.
Y a-t-il un chef d'orchestre ? C'est l'autre question. Elle est aussi sans réponse. Ce sont ces interrogations que les hommes répètent depuis des siècles. Il n'est qu'à lire ce que Lao Tseu écrivait du maître des évolutions : On le contemple sans le voir, on l'écoute sans l'entendre, on le suit sans pouvoir le saisir. Il y a heureusement l'espérance qu'exprimait Teilhard : Je crois que l'univers est évolution, je crois que l'évolution va vers l'esprit. Mais c'est avec Légaut que nous pouvons redescendre à la réalité de notre condition quand il met en lumière le dénuement dans lequel nous laisse la perception des échecs de notre vie. Une seule chose compte : s'imprégner du message de Jésus pour tenir le doigt de ce Dieu caché afin de ne pas se perdre, afin de ne plus désirer quelque réussite mais rendre grâce parce qu'il est évident que la marche vers l'esprit se poursuit. Bonnes et heureuses fêtes, prélude d'une nouvelle année de fraternels échanges avec l'espoir, si la vie est toujours là, qu'ils se perpétuent.