CORRESPONDANCE UNITARIENNE    mars 2005

Jésus, l’humain jusqu’au bout

Actualités
unitariennes


n° 41

« Que l'homme soit, et Dieu apparaîtra au cœur de notre histoire
comme l'espace infini où notre liberté respire »
. Maurice Zundel

Jésus, l’humain jusqu’au bout
extrait d’une conférence donnée par Yves Burdelot à Montpellier, le 2 juin 2004
« La foi chrétienne : un chemin d’humanisation », à partir de son ouvrage Devenir humain
d’après une transcription résumée de Jean-Claude Bousquet
diffusée par la NSAE (Nous sommes aussi l’Eglise)

Pour parler de christianisme : redresser la perspective

Ce ne sont pas les mots qui sont usés ; ce sont les notions qui sont en question, c'est à dire les idées avec lesquelles nous pensons le christianisme. A la question du devenir humain le christianisme ne répond pas par une théorie, mais par une existence, historiquement située : la vie bien réelle, bien humaine d'un Juif , Jésus.

Si on relit les Evangiles avec les connaissances et exigences intellectuelles et spirituelles d'aujourd'hui, dans l'histoire de Jésus, on trouve bien là une vie humaine qui va au bout d'une exigence d'humanité, une existence menée à un point tel que ceux qui en furent les témoins en sont venus, après sa mort, à voir en lui le visage du mystère que nous nommons Dieu ; d'où la thèse que je formule : Quelles que soient nos habitudes, la proposition chrétienne ne devrait jamais partir de la conviction que Dieu existe pour en déduire ce qu'on nomme la divinité de Jésus, mais bien au contraire reconnaître l'existence humaine de Jésus. Par cette reconnaissance, en adhérant au type d'humanité dont il a donné un témoignage sans faille, on sera invité à croire en un certain Dieu.

On se heurte au discours traditionnel qui fait de Jésus un Dieu, en négligeant l'Homme qu'il fut. Si l'humain n'est pas factice, comment peut-on dire qu'on est devant un homme qui est Dieu ? Alors ? Ou c'est l'humanité qu'il faut abandonner, ou bien c'est l'idée toute faite de Dieu que nous avons dans la tète qu'il faut tranquillement remettre en cause. Cette vision globale du christianisme que nous avons vécue et intégrée, telle qu'elle est perçue par les gens d l'extérieur, doit être retournée, en reprenant tous les éléments mais cette fois en partant de Jésus et non de Dieu. Quels sont les points forts de ce retournement ?

Se défier de l'idée de Dieu

La pensée de "Dieu" que nous avons spontanément dans la tête est un obstacle à la foi chrétienne (c'est une donnée anthropologique : nécessairement l'être humain porte en lui une certaine image de Dieu d'un Tout Puissant ) et qui nous empêche de saisir "Dieu". Il faut accepter d'entendre que le Dieu de la foi de l'Evangile et le Dieu de la foi biblique est tout différent du Dieu qui vient spontanément à l'idée "C'est une caricature des choses" dit Lévinas. Dieu c'est quoi ? Un tout-puissant, créateur, maître de l'univers, surveillant pointilleux, juge de l'action des hommes, agent en faveur de ceux qui l'aiment …et les autres ? Ces images de Dieu sont à la source de l'incroyance moderne. Il faut se décider à reconnaître que la seule idée de Dieu que puisse entrevoir la foi est celle qui se lie à l'existence de Jésus - « visage de Dieu » en terre humaine, révélation dans l'opacité de l'existence. "Je prie Dieu de me libérer de Dieu "disait Maître Eckart.

Rendre à Jésus son humanité

Refuser Jésus en uniforme c'est à dire refuser la divinisation préalable de Jésus (le divin enfant, etc.). Dans la manière dont Jésus a vécu son humanité et en a assumé toutes les exigences, c'est de là et de là seulement que la foi peut pressentir une présence, celle sans doute que Jésus appelait son Père trouvant ainsi la source, non pas à l'extérieur de lui-même mais au cœur de sa personnalité, source qui animait le chemin de son existence.

Parler de Jésus c'est parler de son existence

Jésus ne doit pas être statufié d'avance ; il a construit ce qu'il est. Aucun de nous n'est une réalité définie d'avance ; l'existence se définit au fil de notre histoire : à travers tous les choix que nous posons , se révèlent les orientations qui donneront sens à notre vie. L'histoire de quelqu'un, on peut la raconter, ça peut ressembler à un modèle, mais une existence c'est partageable (quand quelqu'un arrive à faire entendre ce qui l'anime). Il ne s'agit pas de la copier mais elle crée, comme le dit Bergson un" appel" qui permet à chacun d'inventer à nouveau.

On devrait pouvoir parler de la contagion des existences, et c'est dans cette perspective qu'il faut analyser la vie de Jésus. L'existence de Jésus est exemplaire: elle révèle un mode de vie qui va le plus loin possible dans le projet d'humanisation. Il s'agit bien d'une existence humaine ordinaire avec une radicalité forte qui a dérangé, parce qu'il se battait contre la déformation du Dieu auquel il croyait en qui il reconnaissait la source de son être au point de l'appeler son père. La grande affirmation de Jésus, c'est de dire : il n'y a pas deux amours ; on n'a pas le droit d'échapper aux nécessités de la terre pour se porter vers l'amour de Dieu, puis, ensuite, par gentillesse morale ou condescendance se tourner vers le prochain. L'affirmation de Jésus, c'est la rencontre de Dieu, elle se fait uniquement dans l'amour du prochain. Ramener la transcendance du très haut dans le très bas, c'est ce qui sape en leurs racines toutes les autorités sacralisées. C'est dans la façon de vivre et de mourir de cet homme : Jésus, qu'on peut lire un visage de Dieu. Le Dieu auquel je crois est à lire dans ce mode de vie et nulle part ailleurs.

Voici l'Homme

Reprenons les trois tentations de la Genèse : un Dieu tout-puissant, la connaissance du bien et du mal, ne pas mourir. "Vous serez comme des Dieux" ; la tentation humaine est là. Or l'existence de Jésus témoigne du choix inverse. Dans le texte de l'épître au Philippiens chapitre 2, Jésus, si on parle de Jésus qui était de la" ressemblance de Dieu", il l’est comme tout être humain qui a vécu ; cela n'a rien à voir avec l'expression "de condition divine". Jésus est l'homme qui ne s'est pas pris pour Dieu ; il a assumé pleinement sa condition d'homme, et cela parce qu'il aime. La clef de son existence, c'est le don de soi.

L'homme qu'est Jésus se veut tout entier orienté vers le don, le service de l'autre - une existence tout à fait unifiée à la fois dans l'approfondissement intérieur, et le choix de Jésus, là où il se sent relié à la source de son être, et unifié par un combat pour les autres, ce qui chez lui n'est pas séparé.

A partir de cette règle du don de soi, dont l'Eglise témoigne par l'eucharistie, on peut comprendre les consignes que Jésus donne à ses disciples : ce que j'ai fait, faites le à votre tour. Ce qu'il a fait, il le résume et le symbolise dans un geste, celui du pain partagé, c'est à dire voici ma vie et comme du pain nourrissez -vous en à votre tour devenez nourrissant et porteur de vie et de joie autour de vous; si je vous donne ma vie, je vous invite à en faire autant

C'est un acte symbolique. Jésus est le visage de Dieu - il est symbole de Dieu. Jésus de Nazareth n'est pas Dieu. La foi chrétienne nous dit qu'il révèle Dieu, qu'il est Parole de Dieu ; parole: nous sommes donc dans le domaine du symbole. Dans l'existence même de Jésus, on a le symbole, qui nous permet d'atteindre ce mystère invisible que nous nommons Dieu, ce mystère qui n'aurait pas de sens pour nous s'il n'y avait pas cette existence qui le traduit. La façon dont Jésus conduit son existence dit Dieu.

l’amour des autres avant toute croyance religieuse

Quelle que soit la valeur à laquelle notre liberté choisit de se donner, (l'art, la recherche intellectuelle, la création, l'amour) on est bien dans le don de soi. Le don de soi c'est l'enjeu de la liberté authentiquement humaine et c'est la caractéristique de l'existence de Jésus et on peut la considérer comme la signature du mystère que nous nommons Dieu. Il n'y a pour ça aucun monopole chrétien, ce n'est pas une négociation morale ou sociale, c'est un choix profond : vivre pour faire vivre Le fait même de vivre et de faire vivre en soi et autour de soi, c'est la réalisation de notre vie, et il n'y a pas besoin de croire au préalable en Dieu pour entrer dans cette vie que les chrétiens appellent " vie sauvée". Jamais l'engagement religieux ne doit passer en premier, la foi est mensongère si elle n'assume pas d'abord un "athéisme potentiel" : prendre en considération certaines valeurs humaines est un critère supérieur à toute croyance religieuse déterminée. Celui qui n'est pas disposé à ce choix ne sera pas capable de reconnaître l'importance historique et la signification de Jésus. Il n'y a pas besoin d'être chrétien pour faire ce choix et participer à la vie même de Dieu. Tout être humain porte en soi la capacité d'exprimer Dieu par la part de don de soi et par ses choix qui animent son projet de vie. Exister pour autrui, choisir de vivre pour faire vivre c'est le cœur de la foi chrétienne, et une telle vie traverse la mort. Professer la foi chrétienne de cette façon, c'est attester que cette manière de vivre est présence et révélation de Dieu.