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 Dialogue


    Marco Gregori

 

 

 

   


L'évangéliste conservateur

 

 

lJean-Paul II s'éteint comme il a vécu. Sous les feux des projecteurs. Habile communicateur, il aura su, jusqu'à son dernier souffle, utiliser, pour ne pas dire abuser, les médias, afin de transmettre son message: «L'Eglise, c'est moi et gare à tous ceux qui le contestent!» Au début de son pontificat, le pape se présentait volontiers comme un sportif, offrant un vernis de modernité à une Eglise rétrograde. Ses longs voyages, ses grand-messes attirant des dizaines de milliers de jeunes servaient à diffuser une théologie toujours aussi conservatrice. Puis est venue l'époque de la souffrance et de la maladie, qu'il s'agissait d'accepter comme une fatalité et d'en faire une donnée universelle. A ce stade, la catharsis papale délivrait un message sinistre: la misère fait partie du monde, même le pape ne peut que la subir.

Or, en dépit des images d'Epinal, des bains de foule et du visage marqué par la douleur, le pape a-t-il entrepris quoi que ce soit pour sortir le Vatican de son carcan obscurantiste? Imperméable à de nombreux enjeux de société, il s'est toujours farouchement opposé à l'ordination des femmes, a défendu avec acharnement le célibat des prêtres, a prêché – en pleine pandémie du sida –, l'abstinence plutôt que la contraception, a condamné l'homosexualité et l'avortement.

On disait Jean-Paul II ouvert et à l'écoute. Mais ils sont nombreux ceux qui, pour avoir voulu modifier les pratiques et les discours de l'Eglise, ont été réduits au silence. Et les paroisses qui oeuvraient en faveur d'un dépoussiérage ont été rappelées à l'ordre vertement.
Il se montrait certes sensible à la pauvreté. Mais pourquoi a-t-il fait preuve de tant d'intransigeance à l'égard de la théologie de la libération? Il a donné l'image d'un pape dont la conception de la justice sociale ne dépassait pas le stade de la charité.

Une bonne partie de l'aura de Jean-Paul II provient de son action, que l'on a dite décisive, pour faire chuter les dictatures communistes en Europe de l'Est. La portée de son activisme demeure difficile à définir. Une certitude toutefois, son attachement à la démocratie était à géométrie variable. Sans concession pour dénoncer des régimes d'obédience marxiste. Très accommodante lorsqu'il devait se rendre, comme en 1987, au Palais présidentiel du dictateur chilien Augusto Pinochet.

Il sont d'ailleurs nombreux ceux qui, de George W. Bush à Vladimir Poutine, ont fait le voyage au Vatican pour trouver, auprès de Jean-Paul II, un semblant de respectabilité. Ses appels – sincères – à la paix y perdaient en crédibilité.

Cet homme au destin hors du commun, comme on ne manquera pas de nous présenter Carol Wojtyla, a en tout cas pris des décisions peu ordinaires au sein même de l'Eglise. Alors que le Concile Vatican II, au début des années soixante, montrait que l'Eglise pouvait se réformer, Jean-Paul II n'a pas hésité à raffermir les liens avec la très réactionnaire Opus Dei. Point culminant de ces relations: la sanctification en octobre 2002 du fondateur de cette congrégation, José Maria Escrivà de Balaguer, fervent partisan du général Franco et soutien inconditionnel des régimes réactionnaires latino-américains des années septante et quatre-vingt.

Il faut dire que l'Opus Dei n'a pas son pareil pour faire du lobbying et tenter de répandre le dogme ecclésiastique. D'ailleurs, ce soldat de Dieu qu'a été Jean-Paul II n'a reculé devant aucun voyage, visitant des pays parmi les plus pauvres de la planète. Là où d'autres se seraient révoltés, il s'est le plus souvent contenté de transmettre la parole biblique. Comme quelqu'un qui voulait évangéliser le monde, mais n'a pas essayé de le changer.

Marco Gregori, Samedi, 02 avril 2005  

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