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 Les chroniques



    Jacques Herman

 

 

 

   

 


Tu diffères de moi, tu me lèses !

 

 

On divorce de plus en plus. Un couple sur deux vole en éclats. On s’en plaint souvent à juste titre parce que l’on en connaît les conséquences quand bien même on ferme souvent les yeux sur la cause de l’accroissement de cette pratique. Il existe, nous y avons participé, des cérémonies de divorce, très ritualisées et chargées d’un symbolisme dont le bon goût n’est pas forcément toujours au rendez-vous.

Le divorce est représentatif de la douleur de l’éclatement, de la séparation, de la division. Lorsque l’officiant annonce que l’homme et la femme sont unis désormais par la volonté de Dieu, nous pouvons demander légitimement quelles sont les limites de cette volonté et dans quelle mesure les actes volitifs des créatures ne l’emportent pas sur ceux du Créateur. Nous rappellerons ici le fameux “Dieu démuni” qui contraste avec l’omnipotence divine reléguée dans les coulisses du théâtre ecclésiologique.

La question qui se pose effectivement à la suite d’un divorce est de savoir si Dieu a vraiment uni ce que l’homme entend séparer.

Le rêve de l’unité remonte à la nuit des temps. La franc-maçonnerie, relayant le mythe égyptien osirien, a placé au centre du troisième échelon de ses degrés dits “bleus” ou symboliques, la thématique du “nécessaire” rassemblement de ce qui est épars.

Plotin dont certains d’entre nous se rappellent les Ennéades, dans une ligne inspirér de Platon, d’Aristote, de quelques stoïciens aussi, s’était fait d’une certaine manière le chantre de l’Unité: l’être se dégrade progressivement à partir de l’Un et notre âme est appelée au terme d’une démarche que nous pourrions qualifier de sotériologique, à retrouver cette unité originelle puis à se fondre en elle.

L’unité retrouvée, c’est aussi le fondement des thématiques les plus populaires de la littérature ou du cinéma. Elle se cristallise souvent en ce qu’il est convenu d’appeler “happy end”.

L’enfant, nous assurent les psychologues, aspire presque toujours à la réconciliation des parents séparés ou divorcés.

Il en va de même de l’Eglise, conçue comme corps du Christ, éparpillé entre les mouvances nées des aléas de l’histoire et des conflits des autorités représentatives du christianisme. C’est ainsi qu’après tant d’oppositions, des esprits se sont mis à rêver au retour à l’unité. Pour le moins, à une forme de réconciliation, car il ne faut pas confondre le regroupement des chrétiens en une seule Eglise (l’unionisme) avec le dialogue interreligieux et les travaux en commun des Eglises chrétiennes qui caractérisent l’oecuménisme.

Lars Olof Jonathan Söderblom, évêque d’Uppsala (prix Nobel de la paix 1929) est traditionnellement considéré comme le père fondateur de l’oecuménisme moderne quand bien même, dans la dernière décennie du 19e siècle, sous l’impulsion d’un unitarien, Jenjin Lloyd Jones et de Swami Vivekananda, un hindou, un souffle de dialogue interreligieux avait déjà pris naissance au Canada, sorte de préfiguration selon d’aucuns, de la rencontre d’Assise qui nous reste encore en mémoire.

Quel besoin les chrétiens ont-ils de se rencontrer, de collaborer, à organiser des rassemblements en tous genres, en dépit des divergences qui les séparent parfois cruellement (on songe aux guerres de religions, à la situation irlandaise, etc.)? Ne chercheraient-ils pas tout simplement à se donner bonne conscience à travers une commune aspiration à l’unité, compte tenu que l’unité véhicule toutes les valeurs traditionnellement considérées comme des fleurons de la sagesse : le pardon, l’amour, la réconciliation, etc.?

Craindrions-nous de ne pas correspondre à la formulation fameuse de Saint Exupéry et de la transformer en disant: “si tu diffères de moi, mon frère, loin de m’enrichir, tu me lèses”?

Jacques Herman. le 02 septembre 2007