C’était
une bien belle cérémonie de mariage bourgeois,
catholiquement correcte et ostentatoire à souhait,
rituelle jusque dans les répliques des parents aux
félicitations de circonstance et dans les remerciements
des jeunes mariés, tout de blanc vêtus, qui
recevaient par volées les vœux traditionnels
de bonheur.
En prononçant à mon tour les
mots magiques et convenus, je me suis prise à m’interroger
sur la signification du bonheur, ce petit vocable que tout
le monde a dans la bouche et plus particulièrement
un jour comme celui-ci.
Le bonheur serait-il une heureuse
fatalité ou un enfant
de la chance ? Dépendrait-il du bon vouloir d’un
destin que l’on invoque comme un dieu et que l’on
prie pour qu’il soit propice ? Se trouverait-il au
détour d’un chemin, par hasard, ou bien au terme
hypothétique d’une quête ou d’une
chasse au trésor dont l’issue favorable ne serait
accessible que par certains privilégiés ? Le
bonheur serait-il ce prêt-à-porter taille unique,
disponible dans toutes les bonnes maisons et qu’il
suffirait d’acheter ? Consiste-t-il, comme d’aucuns
le prétendent, à pouvoir satisfaire les moindres
désirs : amour, argent, gloire et beauté ?
Aimer et être aimé, est-ce là le secret
?
Si personnellement je répondrais par
la négative à toutes
ces questions – induisant par la même occasion
un début de définition apophatique du bonheur – il
serait présomptueux de vouloir en faire une généralité applicable à tous.
Néanmoins, j’ai trouvé, dans un petit
livre très mal écrit, quelques pistes intéressantes
qui ne me contredisent pas.
En gros, l’auteur (1) explique
que le bonheur est un « état
naturel » qu’il est inutile de chercher puisque
nous le possédons déjà. Cependant, pour
pouvoir en profiter, certaines conditions doivent être
remplies, outre la satisfaction – nécessaire
mais suffisante – des besoins fondamentaux.
Il faut
laisser tomber les masques et les illusions qui nous habitent,
arrêter de prendre nos désirs pour
la réalité et – très important – renoncer à vouloir
faire changer les autres dans le but de les rendre conformes à nos
rêves et à nos exigences. Il est donc impératif
de se protéger de l’égoïsme – endogène
et exogène – et se tenir à distance de
la manipulation, que ce soit comme auteur ou comme victime.
Le bonheur n’est pas de jouer ou de faire jouer un
rôle.
Pour pouvoir cheminer selon nos tropismes,
selon nos goûts
et sur nos chemins, nous devons délaisser notre besoin
d’approbation sociale et penser nos propres pensées,
prononcer des « oui » et des « non » sincères.
Et, en toutes circonstances, être capables de reconnaître
nos torts et de relativiser nos raisons. Le bonheur n’est
pas de donner ou d’avoir raison.
Il faut aussi cesser
de croire que l’on ne peut être
heureux sans reconnaissance ou popularité. Même
si…
«
Le défaut fondamental des pères est de vouloir
que leurs rejetons leur fassent honneur. »(2)
En nous inculquant
ce besoin d’appréciation
et de félicitations, notre éducation ne nous
a pas rendu service : elle nous a rendus dépendants
des autres et de leur regard, elle nous a assujettis aux
apparences, au « qu’en dira-t-on », au « politiquement
correct » qui aliène la communication et la
rend fade et stérile. Le bonheur n’est pas d’applaudir
ou d’être applaudi.
De plus, nous n’avons
aucune obligation d’être
heureux ni de faire semblant de l’être. Nous
ne devons pas cela à la société. Il
me paraît même – mais ce serait à développer
ailleurs – que le fait de goûter à cet « état
naturel » accentue la conscience de notre solitude
essentielle. Le bonheur est subjectif et personne ne peut être
heureux – ni malheureux – à notre place
quelles que soient les déclarations et les formules
consacrées. Condouloir et compatir ne se font finalement
que par rapport à nous-mêmes et à notre
expérience personnelle.
Alors, plutôt que d’espérer
pour soi et pour autrui la possession d’un trésor
que tout le monde détient naturellement, ne serait-il
pas plus opportun de souhaiter que chacun fasse fructifier
ce bien
précieux qu’il a juste sous le nez?
«
Quand vous dites aux gens que le bonheur est une
question simple, ils vous en veulent toujours. » (3)
[Tant pis !]
Certes, les recettes sont simples. Mais elles
sont peu conformistes, d’où la difficulté de les
mettre en application. Et on peut, sans faire mentir Russell,
dire que ce n’est
pas toujours facile d’être heureux : trop d’habitudes,
de conventions, de situations et de faits, trop de « passions égocentriques » et
de faux besoins viennent nous mettre des bâtons dans
les roues et nous empêchent de voir et d’entendre… Mais
cela ne devrait pas nous dispenser de regarder, d’écouter
et de cueillir.
«
Un artiste est emprisonné en chacun de nous.
Libérons-le
afin qu’il puisse répandre la joie tout autour
de lui. »(4)
Nadine de Vos. Le 5 juillet 2007
(1) Anthony
De Mello, encore lui !
(2) Bertrand Russel, Essais sceptiques.
(3) Bertrand Russel, Autobiographie.
(4) Bertrand Russel, dernière phrase de son dernier
manuscrit, sans titre mais annoté « 1967 » par
l’auteur alors âgé de 95 ans : « There
is an artist imprisoned in each one of us. Let him loose
to spread joy everywhere. » |