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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 


Meilleurs vœux de bonheur…

 

 

C’était une bien belle cérémonie de mariage bourgeois, catholiquement correcte et ostentatoire à souhait, rituelle jusque dans les répliques des parents aux félicitations de circonstance et dans les remerciements des jeunes mariés, tout de blanc vêtus, qui recevaient par volées les vœux traditionnels de bonheur.

En prononçant à mon tour les mots magiques et convenus, je me suis prise à m’interroger sur la signification du bonheur, ce petit vocable que tout le monde a dans la bouche et plus particulièrement un jour comme celui-ci.

Le bonheur serait-il une heureuse fatalité ou un enfant de la chance ? Dépendrait-il du bon vouloir d’un destin que l’on invoque comme un dieu et que l’on prie pour qu’il soit propice ? Se trouverait-il au détour d’un chemin, par hasard, ou bien au terme hypothétique d’une quête ou d’une chasse au trésor dont l’issue favorable ne serait accessible que par certains privilégiés ? Le bonheur serait-il ce prêt-à-porter taille unique, disponible dans toutes les bonnes maisons et qu’il suffirait d’acheter ? Consiste-t-il, comme d’aucuns le prétendent, à pouvoir satisfaire les moindres désirs : amour, argent, gloire et beauté ? Aimer et être aimé, est-ce là le secret ?

Si personnellement je répondrais par la négative à toutes ces questions – induisant par la même occasion un début de définition apophatique du bonheur – il serait présomptueux de vouloir en faire une généralité applicable à tous. Néanmoins, j’ai trouvé, dans un petit livre très mal écrit, quelques pistes intéressantes qui ne me contredisent pas.

En gros, l’auteur (1) explique que le bonheur est un « état naturel » qu’il est inutile de chercher puisque nous le possédons déjà. Cependant, pour pouvoir en profiter, certaines conditions doivent être remplies, outre la satisfaction – nécessaire mais suffisante – des besoins fondamentaux.

Il faut laisser tomber les masques et les illusions qui nous habitent, arrêter de prendre nos désirs pour la réalité et – très important – renoncer à vouloir faire changer les autres dans le but de les rendre conformes à nos rêves et à nos exigences. Il est donc impératif de se protéger de l’égoïsme – endogène et exogène – et se tenir à distance de la manipulation, que ce soit comme auteur ou comme victime. Le bonheur n’est pas de jouer ou de faire jouer un rôle.

Pour pouvoir cheminer selon nos tropismes, selon nos goûts et sur nos chemins, nous devons délaisser notre besoin d’approbation sociale et penser nos propres pensées, prononcer des « oui » et des « non » sincères. Et, en toutes circonstances, être capables de reconnaître nos torts et de relativiser nos raisons. Le bonheur n’est pas de donner ou d’avoir raison.

Il faut aussi cesser de croire que l’on ne peut être heureux sans reconnaissance ou popularité. Même si…

« Le défaut fondamental des pères est de vouloir que leurs rejetons leur fassent honneur. »(2)

En nous inculquant ce besoin d’appréciation et de félicitations, notre éducation ne nous a pas rendu service : elle nous a rendus dépendants des autres et de leur regard, elle nous a assujettis aux apparences, au « qu’en dira-t-on », au « politiquement correct » qui aliène la communication et la rend fade et stérile. Le bonheur n’est pas d’applaudir ou d’être applaudi.

De plus, nous n’avons aucune obligation d’être heureux ni de faire semblant de l’être. Nous ne devons pas cela à la société. Il me paraît même – mais ce serait à développer ailleurs – que le fait de goûter à cet « état naturel » accentue la conscience de notre solitude essentielle. Le bonheur est subjectif et personne ne peut être heureux – ni malheureux – à notre place quelles que soient les déclarations et les formules consacrées. Condouloir et compatir ne se font finalement que par rapport à nous-mêmes et à notre expérience personnelle.

Alors, plutôt que d’espérer pour soi et pour autrui la possession d’un trésor que tout le monde détient naturellement, ne serait-il pas plus opportun de souhaiter que chacun fasse fructifier ce bien précieux qu’il a juste sous le nez?

« Quand vous dites aux gens que le bonheur est une question simple, ils vous en veulent toujours. » (3) [Tant pis !]

Certes, les recettes sont simples. Mais elles sont peu conformistes, d’où la difficulté de les mettre en application. Et on peut, sans faire mentir Russell, dire que ce n’est pas toujours facile d’être heureux : trop d’habitudes, de conventions, de situations et de faits, trop de « passions égocentriques » et de faux besoins viennent nous mettre des bâtons dans les roues et nous empêchent de voir et d’entendre… Mais cela ne devrait pas nous dispenser de regarder, d’écouter et de cueillir.

« Un artiste est emprisonné en chacun de nous. Libérons-le afin qu’il puisse répandre la joie tout autour de lui. »(4)

Nadine de Vos. Le 5 juillet 2007  

(1) Anthony De Mello, encore lui !
(2) Bertrand Russel, Essais sceptiques.
(3) Bertrand Russel, Autobiographie.
(4) Bertrand Russel, dernière phrase de son dernier manuscrit, sans titre mais annoté « 1967 » par l’auteur alors âgé de 95 ans : « There is an artist imprisoned in each one of us. Let him loose to spread joy everywhere. »