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 Les chroniques



    Rachad Armanios

 

- La transgression salutaire

- La haine du voile

- L'union des contraires

 

 

   

 


A l'assaut de la forteresse islam

 

 

Dans «Contre-prêches», le Franco-Tunisien Abdelwahab Meddeb approfondit son diagnostic du cancer intégriste qui ronge l'islam, enfermé dans la lettre coranique.

Jamais un phénomène extrémiste n'a triomphé, enseigne l'histoire, c'est pourquoi l'islamisme, aussi nuisible et durable soit-il, finira par être vaincu. Telle est la conviction d'Abdelwahab Meddeb, qui signe d'édifiantes Contre-prêches en forme d'uppercut aux terroristes. Cet intellectuel musulman a compilé les chroniques hebdomadaires, inspirées de l'actualité, qu'il a livrées depuis 2003 à Médi1, une radio de Tanger.

Ce Franco-Tunisien établi à Paris, où il enseigne la littérature comparée (à ParixX-Nanterre), s'était déjà penché au chevet de l'islam dans La maladie de l'islam. Se faisant poète, historien, sociologue, théologien ou historien de l'art, Abdelwahab Meddeb approfondit les causes du cancer intégriste. Et prescrit les remèdes à administrer à l'islam. Faute de quoi le patient, sclérosé, rejoindra définitivement les civilisations mortes.

Tristement mais avec érudition, Abdelwahab Meddeb contemple la forteresse en ruine dans laquelle s'enferme le monde arabo-musulman. Une prison scellée par l'asservissement à la lettre coranique au nom d'un «Coran incréé», écrin de la parole même de Dieu. Cette thèse a permis dès le XIIe siècle de figer le dogme et le culte, confisqués par l'islam officiel. «Une religion qui se dit ultime, (...) une telle religion prise à la lettre, annule toute interrogation, tout doute, fonde une vérité absolue, sans contestation possible. (...) Il suffit que la structure politique transporte le même principe dans son champ propre pour que l'espace du politique se trouve, à son tour, dominé par cette vérité de l'Unicité incontestable. Réduit à un tel squelette, l'Islam, religieusement et politiquement, se vit comme une perspective asséchante, stérile (...).»

La transgression salutaire

Voltairien et familier de la mystique soufie, l'écrivain plaide pour le libre arbitre et la transgression salutaire. «Dans l'effort interprétatif, l'excès, la démesure peuvent même affranchir la lettre du sens qui la contraint.»

Ce travail critique a déjà été effectué au sein de l'islam, mais l'amnésie règne, déplore Abdelwahab Meddeb. Pédagogue, il exhume les richesses islamiques, entre les VIIe et XIIe siècles. L'école mutazilite avait par exemple formulé la contre-thèse du «Coran créé», traduction humaine et par essence imparfaite du verbe divin. Abdelwahab Meddeb saisit cette parole libérée. Il y voit la clé d'une soumission du religieux au politique, condition de la démocratie qui butte contre les émirats autoritaires et le fantasme islamiste du califat.

L'ouvrage se réfère aussi à un théologien soudanais exécuté il y a vingt-cinq ans, Mahmud Muhammad Taha. Celui-ci distingue entre la part encore valide du Coran et la périssable. La première est à chercher dans les versets mecquois, principiels et universels. L'autre concerne la période médinoise. Plus belliqueuse, juridique, politique, cette part circonstancielle est adaptée aux mentalités d'une époque révolue, tranche Abdelwahab Meddeb : exit la loi du talion, l'esclavage, l'interdit du vin, les châtiments corporels...

La haine du voile

Jugées obsolètes, aussi, les dispositions coraniques sur les femmes. Les tentatives de réconcilier l'idée d'égalité et la lettre coranique sont vaines, car «l'infériorité des femmes» est affirmée de manière irréfutable dans le Coran, précise l'auteur. Il désespère surtout des jeunes filles voilées qui, croyant brandir un signe identitaire, se parent de celui «de l'offense faite aux femmes». Alors qu'en 1926, au Caire, des pionnières se dévoilaient en public dans un geste théâtral, Abdelwahab Meddeb observe une cohorte de femmes voilées, encadrées par des barbus, défiler à Paris, ville des Lumières. Telle serait une manifestation de «servitude volontaire», condition nécessaire à tout despotisme. Tel est aussi le passage d'une «modernisation de l'islam à l'islamisation de la modernité».
Or, du moins sur son territoire, «ce n'est pas à l'Europe de s'adapter à l'islam; c'est à l'islam de s'adapter à l'Europe». C'est d'ailleurs en se laissant féconder par son héritage européen que l'islam pourra se réformer, poursuit ce cosmopolite.

L'union des contraires

Il invite donc au dépassement identitaire et religieux. Rester soi-même, certes, mais «en osant entrer dans l'espace qui s'ouvre pour circuler sur la vaste scène du monde». Prônant l'union des contraires, l'auteur confirme son admiration pour l'enseignement soufi dont il a exploré des pistes à l'Université de Genève.

Dans ce sens, il voit dans les attentats du 11 septembre 2001 une hostilité à un monde unifié et non un choc entre civilisations. Dans la même logique, il vilipende l'impérialisme américain d'inspiration évangélique. Pour réformer l'islam, la pression extérieure est pourtant souhaitable, fût-elle guerrière, expose le professeur. Mais c'est un colon déguisé en gendarme qui frappe. Au lieu de rétablir la justice en Palestine, il ravive en Irak les pires réactions de l'islam.

Abdelwahab Meddeb, Contre-prêches, Seuil, 504 pp.

Cet article provient de Le Courrier