Non, je ne ferai pas de commentaires
sur les derniers rebondissements de l’affaire des caricatures car je me refuse à entrer
dans le jeu des grands manipulateurs et autres pousse-au-crime
médiatiques ou médiatisés.
Cependant, à travers cette histoire aberrante, où l’on
mêle et confond humour et ironie, il est une question
qui me vient à l’esprit, confortée par
l’évident quiproquo suscité par un dessin
humoristique (1) représentant des joueurs de football
iraniens munis de bombes et des soldats allemands, l’arme
au poing.
La scène met en exergue l’incongruité de
voir des sportifs armés sur un terrain de foot, et
donc l’absurdité du projet de mobiliser des
soldats de la Bundeswehr pour assurer le maintien de l’ordre
dans les stades lors du Mondial. Cela me semblait bien clair.
Cependant – comme en témoignent les nombreux
messages de menace, même de mort, reçus par
le journal ainsi que par le dessinateur – l’intention
a été perçue
différemment par certains lecteurs très en
colère.
Qu’il soit lourd, grossier, noir, grinçant
ou raffiné, l’humour – notre humour – est
notre façon de présenter une réalité pas
toujours amusante, de la tourner en dérision, de refuser
de la (et de se) prendre au sérieux. Le grave devient
léger, le banal devient insolite, le tragique devient
comique, le sensé devient burlesque… Mais tout
le monde n’a pas le sens de l’humour et ce qui
est drôle pour nous ne l’est pas spécialement
ailleurs. Je suppose que l’inverse est vrai mais je
dois bien avouer ne pas connaître l’humour des
antipodes que je ne comprendrais peut-être pas.
L’humour
serait-il une valeur difficile à faire
partager ? Une sorte de langage codé destiné à certains
et inaccessible au premier degré ? Ne serait-il possible,
comme le dit Robert Desnos, qu’à la faveur d’une
liberté d’esprit presque absolue ? En ce cas,
il n’aurait pas sa place dans les affaires publiques,
et la presse internationale – de quelque bord qu’elle
soit – devrait réserver ses « private
jokes » au
cercle des seuls initiés.
J’entends jusqu’ici
les hurlements indignés
de notre chère liberté d’expression,
elle qui permet de tout dire et de tout écrire, ou
presque. Il n’est évidemment pas question de
revenir là-dessus.
Je me demande seulement à quoi peut bien servir une
information générale destinée au peuple,
si elle est inintelligible sans méprise par une partie
du public au point de transformer le rire en blessure.
La
liberté de la presse est un acquis inestimable et
indispensable. Mais ne serait-il pas bon, de temps en temps,
que les médias redéfinissent leurs objectifs,
justifient leur rôle et remplissent leurs fonctions
? Ils sont censés informer, librement. Pas juger,
pas régler des comptes, pas fournir des clés
aux voleurs et des allumettes aux pyromanes.
Et… « Même
avec Dieu, il ne faut pas tenter le diable ! » (2) Nadine de Vos, Bruxelles, le 14 février
2006
(1) Tagesspiegel du 10
février
2006, commenté par le Courrier International du 14 février.
(2) Raymond Devos, La chute ascensionnelle. |
|