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 Les chroniques



    Nadine de Vos

 

 

 

   

 


L’humour, valeur privée ?

 

 

Non, je ne ferai pas de commentaires sur les derniers rebondissements de l’affaire des caricatures car je me refuse à entrer dans le jeu des grands manipulateurs et autres pousse-au-crime médiatiques ou médiatisés.
Cependant, à travers cette histoire aberrante, où l’on mêle et confond humour et ironie, il est une question qui me vient à l’esprit, confortée par l’évident quiproquo suscité par un dessin humoristique (1) représentant des joueurs de football iraniens munis de bombes et des soldats allemands, l’arme au poing.

La scène met en exergue l’incongruité de voir des sportifs armés sur un terrain de foot, et donc l’absurdité du projet de mobiliser des soldats de la Bundeswehr pour assurer le maintien de l’ordre dans les stades lors du Mondial. Cela me semblait bien clair. Cependant – comme en témoignent les nombreux messages de menace, même de mort, reçus par le journal ainsi que par le dessinateur – l’intention a été perçue différemment par certains lecteurs très en colère.

Qu’il soit lourd, grossier, noir, grinçant ou raffiné, l’humour – notre humour – est notre façon de présenter une réalité pas toujours amusante, de la tourner en dérision, de refuser de la (et de se) prendre au sérieux. Le grave devient léger, le banal devient insolite, le tragique devient comique, le sensé devient burlesque… Mais tout le monde n’a pas le sens de l’humour et ce qui est drôle pour nous ne l’est pas spécialement ailleurs. Je suppose que l’inverse est vrai mais je dois bien avouer ne pas connaître l’humour des antipodes que je ne comprendrais peut-être pas.

L’humour serait-il une valeur difficile à faire partager ? Une sorte de langage codé destiné à certains et inaccessible au premier degré ? Ne serait-il possible, comme le dit Robert Desnos, qu’à la faveur d’une liberté d’esprit presque absolue ? En ce cas, il n’aurait pas sa place dans les affaires publiques, et la presse internationale – de quelque bord qu’elle soit – devrait réserver ses « private jokes » au cercle des seuls initiés.

J’entends jusqu’ici les hurlements indignés de notre chère liberté d’expression, elle qui permet de tout dire et de tout écrire, ou presque. Il n’est évidemment pas question de revenir là-dessus. Je me demande seulement à quoi peut bien servir une information générale destinée au peuple, si elle est inintelligible sans méprise par une partie du public au point de transformer le rire en blessure.

La liberté de la presse est un acquis inestimable et indispensable. Mais ne serait-il pas bon, de temps en temps, que les médias redéfinissent leurs objectifs, justifient leur rôle et remplissent leurs fonctions ? Ils sont censés informer, librement. Pas juger, pas régler des comptes, pas fournir des clés aux voleurs et des allumettes aux pyromanes.

Et… « Même avec Dieu, il ne faut pas tenter le diable ! » (2)

Nadine de Vos, Bruxelles, le 14 février 2006

(1) Tagesspiegel du 10 février 2006, commenté par le Courrier International du 14 février.
(2) Raymond Devos, La chute ascensionnelle.