Les chroniques    26|04|2003

Attendre  Imprimer


Beaucoup de gens ne savent pas attendre (1). Sitôt qu’une idée leur passe par la tête, il faut qu’ils la mettent en acte,… sans attendre le moment favorable, l’épreuve de la réflexion, la venue des forces aussi. Savoir attendre, c’est la science même de l’action pratique. Les impatients sont des faibles qui veulent procéder par coup de force, brûler les étapes, brusquer les événements, et en sont finalement pour la courte honte de leur insuffisance et de leur énervement.

Tout ce qui se fait sans le temps, dit-on, n’est pas respecté non plus par le temps et ne connaît pas la durée. L’attente a son heure, c’est du temps gagné. Attendre jusqu’à ce que, visiblement, évidemment, nous soyons prêts : "tout vient à point à qui sait attendre". Ces considérations et ces maximes, nous en avons les oreilles rabattues : elles semblent la sagesse même… la sagesse des siècles. Et donc aussi la banalité même ? Je me méfie de la banalité, et il en est un peu des vérités, comme des personnes dont Jésus disait : « Malheur à vous, quand tout le monde dira du bien de vous » (2). Ces maximes ont par trop bonne presse pour être tout à fait vraies.

Mais d’abord quel est le sens exact d’attendre? C’est, semble-t-il, rester, sans s’agiter, en un lieu jusqu’à l’arrivée d’un homme ou d’une chose. C’est attendre une venue. Je note qu’à ce compte là, un homme qui rassemble des forces pour l’action : connaissances, argent, outils, santé, qui trace d’avance -pour le passage de son idée- le plan des voies et des avenues, n’est pas un homme qui attend. Les préparatifs de l’action, c’est l’action déjà.

L’attente, c’est la suspension du mouvement et de l’effort jusque… jusqu’à ce que telle ou telle énergie vienne à nous. Les uns attendent, comme ils disent, les conjonctures favorables, les autres les événements, les autres l’inspiration.

Face au pouvoir des "financiers", les hommes politiques attendent. Face aux "pouvoirs spéciaux", les partis attendent. Face au travail de sape de la laïcité par certains leaders religieux ou politiques, les croyants ou les citoyens attendent (3).

Attendrons-nous encore longtemps que le "salut" nous tombe du ciel ?

Pierre A. Bailleux, le 26 avril 2003

(1) On connaît le mot à la fois épique et puéril de Louis XIV, un jour que son carrosse était arrivé juste à l’heure : "J’ai failli attendre".
(2) La Bible, Luc 6; 26
(3) Ceci me fait penser aux émissions colombophiles du dimanche matin : "les convoyeurs attendent"…