Les chroniques    19|02|1999

Lettre ouverte au président du synode  Imprimer


Pierre A. Bailleux

    Face à la situation dans laquelle l’Église Protestante Unie de Belgique (E.P.U.B.) nous a placés, nous sommes contraints de rompre le silence et faisons appel à celles et à ceux qui ont, un jour, été interpellés par cette même église qui -depuis sa fondation en 1839- était ouverte sur le monde et donnait à l’homme toute sa possibilité d’être, une église qui respectait tout naturellement les différentes tendances et opinions, une église au sein de laquelle chacun apportait sa pierre, une église toujours à consolider et sans doute jamais achevée.

    Solennellement, nous réitérons le principe de base de notre église de l'Alliance :
    Notre communauté de l’Alliance place à la base de son enseignement la Bible librement étudiée à la lumière de la conscience et de la science. Elle fait un devoir à chacun de ses membres de se former des convictions personnelles et réfléchies. Elle ouvre ses portes à tous sans leur imposer aucune confession de foi. Son but est de les grouper et de les unir dans un esprit de justice et de fraternité en vue de leur développement spirituel et éthique. Elle travaille à l’avancement du règne de Dieu sur la terre par l’Évangile, source de vie éternelle et de progrès individuel et social. 
    Dès lors, nous avons à cœur de vivre notre foi en dehors de tout argument d’autorité, de réaliser une réelle fraternité entre les hommes, de proclamer la vocation de l’homme à la liberté, de préconiser la nécessité d’un approfondissement spirituel de notre foi en vue d’une plus grande authenticité.
    À Dieu seul la gloire !

    En foi de quoi, nous demandons l’arrêt immédiat des négociations en cours -entre le Bureau du Conseil synodal et des représentants de mouvements fondamentalistes et ce en présence de représentants du Ministère de la Justice- en vue de constituer une structure commune, un organe paritaire. Cette fédération d’églises ne nous permettrait plus de vivre notre foi dans la liberté chèrement acquise par nos Pères Réformateurs. Nous espérons ainsi que l’E.P.U.B. restera une église ouverte et pluraliste, au sein de laquelle diverses tendances théologiques, ecclésiologiques et éthiques coexisteront et coopèreront à nouveau dans un mutuel respect, pour la seule gloire de Dieu.
    Cet appel peut être perçu comme désespéré. Il l’est. Mais bien sûr, point n’est besoin d’espérer pour entreprendre. Réflexion, volonté, effort, nous avons chacun à remettre cent fois notre ouvrage sur le métier, à rectifier, à réajuster nos mentalités et nos comportements. Et même s’il en coûte à notre nature innée, nous voulons pratiquer une réelle tolérance active, celle qui se fonde sur cette exigence indispensable, prioritaire: le respect d’autrui.

La Lettre écarlate  

    Au 17e siècle une “lettre écarlate” offrait à la vindicte populaire tout qui ne rentrait pas dans les normes d’une communauté puritaine dans la Nouvelle Angleterre. C’est ce que Nathaniel Hawthorne dénonce dans son roman The Scarlet Letter en 1850, véritable fable de la rédemption et de la justice de Dieu où tout péché est signe de damnation.
    On pourrait penser qu’un tel récit relève de la pure fiction ou d’une époque révolue. Ce serait faire fi des mécanismes socio-religieux qui nous paraissent au contraire fonctionner avec une grande efficacité dans nos sociétés contemporaines.
    Dans le flux et le reflux des idéologies dominantes qui marquent l’écoulement de l’Histoire, il semble que nous vivons actuellement une vague d’intégrisme en réaction à la pensée libertaire qui suivit la prise de conscience de mai 68.
    Cet éternel retour au même n’épargne pas les communautés ecclésiastiques. Le christianisme réformé a connu ses heures de profond libéralisme théologique qui a imprégné la spiritualité de générations de protestants.

    C’est cette église, ouverte sur le monde et donnant à l’humain toute sa possibilité d’être, qui nous a interpellés. Cette église a donné et devrait continuer à donner à des protestants la possibilité de vivre un christianisme en dehors de toute aliénation dogmatique et doctrinaire, la possibilité de vivre sa foi personnelle dans la liberté, la possibilité de reconnaître l’Autre, son prochain, dans sa différence -quelle qu’elle soit- et de lui conserver sa dignité.
    Où est cette église aujourd’hui? Elle est là où des chrétiens continuent à lutter pour que survivent des valeurs d’amour, de tolérance, de respect, de dignité face à des juges qui condamnent au nom d’une connaissance du péché qu’ils prétendent seuls détenir et qu’ils sont, en fin de compte, seuls à définir. Mais qui peut dire ce qu’est le péché aux yeux de Dieu?
    La liberté de conscience et le libre examen, principes énoncés par Martin Luther, Sébastien Castellion et Alexandre Vinet sont des valeurs pour lesquelles nous nous sommes voués corps et âme depuis de nombreuses années.

Le protestantisme Réfomé, un espace de vie  

    Pour le protestant réformé, la foi -cheminant en étroite complicité avec la raison- s’avère être une source de progrès et de réelles inspirations quant à son propre devenir et à celui de l’humanité.
    Dans cette quête existentielle, le libre examen -appréhendé comme une méthode et non comme une doctrine- apparaît comme une condition essentielle à tout progrès réel de la conscience humaine. C’est en cela que cette méthode profondément ancrée dans la tradition réformée reste un outil spécifique et nécessaire (dans le sens philosophique du mot) légué à tout protestant.
    Certes, il est des questions qui taraudent la conscience, mais on n’arrivera jamais à tout clarifier; c’est pourquoi, sans confondre la foi et la raison, le protestant en cherchera donc les relations, les rapports et les interdépendances éventuelles. La spiritualité trouvera dans le doute le creuset préalable d’où surgiront la connaissance et une réflexion authentique permettant d’opposer à l’obscurantisme religieux -source de tous les fanatismes et de l’intolérance qui asservit l’homme- la voie royale d’une foi libérée des entraves dressées face à Dieu, à lui-même et aux autres.

    Ainsi donc, dans cette volonté de vivre autrement sa foi, tout espace sacré -comme domaine de prospection réservé aux uns et dénié aux autres- perd son sens et relève d’une limitation arbitraire tracée par certains pour vouer à la damnation ceux qui ne reconnaîtraient pas le monopole qu’ils prétendent détenir du message chrétien.
    Le seul espace que reconnaît la foi réformée est un espace de vie qui échappe à toute coercition institutionnelle. Le protestantisme n’a jamais connu et ne connaîtra jamais de nihil obstat, d’imprimatur ou d’index car la recherche philosophique, théologique et éthique est formellement libre.

    Que notre spiritualité est bradée au goût du jour, voilà une des accusations portée à notre égard par les milieux obscurantistes. Or, nous affirmons à la suite de Hegel, philosophe protestant, que “ce n’est pas en niant les contradictions, mais en se montrant capable de les affronter, de les mettre en valeur, de les analyser et de les surmonter au prix de nouvelles contradictions et de nouveaux développements que l’on fait preuve de forces spirituelles”.
    C’est dans la foulée de ce postulat que le protestant réformé inscrit sa démarche, ne cherchant en aucune manière à susciter des luttes stériles et à entretenir de vaines polémiques. Bien au contraire, son projet est de maintenir une qualité de réflexion, de participer dans un climat fraternel à des débats, d’ouvrir le chemin vers un véritable dialogue.
    En aucun cas, il ne se considère comme l’idéal chrétien à atteindre mais plutôt comme une piste tracée devant les hommes -dans le désert de l’existence- pour les aider à voir surgir des sables le soleil de son espérance.

Un nouvel ordre moral  

    Depuis quelques années, des églises fondamentalistes (de type charismatique ou évangélique qui possèdent -elles seules- La Vérité) avec l’appui d’un ancien président des Étas-Unis, le baptiste J. Carter ont interpellé officiellement le Ministre de la Justice, exigeant leur représentativité officielle. C’est évidemment leur droit.
    L’État reconnaît le Centre d’Action Laïque, le Consistoire central israélite et l’Exécutif musulman. Et il y a bien -parmi les églises reconnues- l’Église catholique, l’Église orthodoxe, l’Église anglicane, l’Église luthérienne, l’Église libérale de Bruxelles, l’Église protestante unie de Belgique -et ceci rien que pour le christianisme- alors pourquoi pas une l’Église évangélique en plus? A condition sans doute qu’elle réponde aux critères de “non-secte”.

    Ces églises fondamentalistes ne reconnaissent pas deux des principes de la Réforme, à savoir: la liberté de conscience et le libre examen. La plupart d’entre elles prennent les textes bibliques à la lettre (le créationnisme par exemple), excommunient ceux qui ne partagent pas leurs dogmes en matière de foi et d’éthique, condamnent les sidéens (le Sida est une punition de Dieu), les homosexuels et autres “pervers” tels les athées, les agnostiques, les catholiques, les anti-trinitaires ou les franc-maçons aux “peines éternelles”.

    Or, le bureau du Conseil synodal de l’Église protestante unie de Belgique traite, depuis plusieurs années déjà, avec ces églises fondamentalistes qui revendiquent la représentation juridique et légale de l’ensemble des protestants belges devant l’État belge et la Communauté Européenne.
    À une époque où l’intégrisme partout est pointé du doigt, comment se fait-il que nous, protestants, déroulions le tapis rouge devant cette attitude tellement étrangère à l’esprit de la Réforme? Comment les membres du Conseil synodal -et parmi eux le Président du Synode- peuvent-il expliquer leur disposition favorable au dogmatisme et à l’intolérance?
    Depuis des mois, des représentants du Ministère de la Justice siègent lors des négociations entre les représentants de l’E.P.U.B. et ceux de la Fédération des églises évangéliques de Belgique. Est-ce également légal? On peut supposer que les Autorités catholiques ou laïques accepteraient difficilement pareille ingérence. Dès lors, pour quelles raisons le Président du Synode de l’E.P.U.B., lui, a-t-il accepté?

    Que signifie la devise protestante: Ecclesia reformata quia semper reformanda? C’est le combat contre toutes les idoles dogmatiques ou doctrinaires par un approfondissement de la foi en Dieu -le Dieu de la bible. Dès le XVIe siècle, la Réforme s’est opposée aux ajouts de la tradition et à la hiérarchisation de la société ecclésiastique en se présentant comme la religion de la liberté et de la modernité, co-auteur de la laïcité.

Nous demandons l'arrêt immédiat des négociations  

    Comment pourrions-nous envisager d’être amalgamés à ces fondamentalistes qui d’ailleurs, hier encore, portaient officiellement l’anathème contre nous? Ce sont les mêmes qui aujourd’hui se présentent auprès des autorités fédérales et communales de Belgique prétendant représenter le protestantisme belge. Et ceci, il faut bien le dire, avec la complicité ou l’inertie de certains de nos correligionnaires.

    Nous voyons donc combien fut difficile le chemin parcouru depuis notre choix de vivre dans une église qui garantissait la liberté d’être, la liberté de pensée, la liberté d’expression, jusqu’à cette église qui instaure des structures qui mettent en péril l’essence même de la foi réformée.
    Serons-nous condamnés à porter la marque infamante de la Lettre écarlate pour avoir vécu notre foi et crié notre espérance en toute liberté?

    Nous osons croire que notre indignation est également celle de nombreux chrétiens réformés membres de l’E.P.U.B., peut-être encore trop silencieux, qui ne peuvent souffrir que fondamentalisme et dogmatisme s’imposent à eux. Là où la doctrine contraint, là où la pensée libre doit abdiquer face à l’autorité d’une pensée unique, le libre examen agonise, l’esprit de la Réforme aussi.
    Non possumus !

Pierre A. Bailleux, pasteur, dimanche 19 février 1999
Sont co-signataires les membres du Consistoire de l'Église Réformée de l'Alliance