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 Bible et libertés


  Jacques Chopineau

 

Le nombre 5
L'autre récit évangélique

 

   

Les nombres 5, 12
et la multiplication des pains

 

 

Le nombre 5

Le nombre 5 - et les nombres figurés qui s'y rapportent (nombres « pentagonaux ») - joue un rôle central dans les écrits bibliques -comme dans les écrits pythagoriciens et néo-pythagoriciens, certes, mais aussi chez les constructeurs des cathédrales du moyen-âge, informés par des sources qu'ils connaissent bien (Boèce, Isidore de Séville…).

Nous laisserons ici de côté l'histoire de cette transmission. Le symbolisme de 5 est indiqué ailleurs (voir : Introduction aux nombres). Les lignes qui suivent ne visent qu'un aspect symbolique d'un passage évangélique : Matthieu 14, 13ss (et parallèles). Comme dans les autres textes bibliques, les nombres ne sont certes pas fortuits ou dépourvus de signification. Encore faut-il comprendre comment les anciens les percevaient.

Le texte évangélique est bien connu :
« Il prit les 5 pains et les 2 poissons … ils mangèrent tous et furent rassasiés et l'on emporta ce qui restait des morceaux : 12 paniers pleins. Or ceux qui avaient mangé étaient environ 5.000 hommes » Matthieu 14,19-21

Les cinq pains nourrissent 5.000 hommes et il reste 12 paniers de nourriture. Le langage biblique utilise plusieurs fois ce nombre 5, sous-multiple commun aux systèmes décimal (5 x 2 = 10) et sexagésimal (5 x 12 = 60). C'est ce nombre qui désigne une réalité au-delà de la réalité immédiatement perceptible. Non comme le nombre 7 qui désigne la totalité (la somme du vertical 3 et de l'horizontal 4).

Le nombre 5 désigne symboliquement le cinquième de l'humanité : la partie destinée à être « sauvée ». Nous avons vu, ailleurs, comment la fraction 1/5 pouvait être notée 12 dans le vieux système sexagésimal des sémites.

Inversement, le nombre 12 (= 60/5) sera le nombre symbolique des tribus, des apôtres, de l'église… ainsi qu'il a été exposé. En sorte que 5 aura parfois -dans le langage biblique- la valeur de 12 -souvenir de l'ancienne numération sexagésimale.

L'approche n'est pas très différente dans le pythagorisme où le 5 (au-delà du 4 de la tétraktys) se rapporte à une réalité céleste -au-delà des limites de notre monde terrestre. L'intelligence du sage (pythagoricien ou chrétien) peut ainsi être la même dans le monde terrestre et dans les mondes célestes - le « logos » est le même partout ! L'étoile à 5 branches était d'ailleurs le signe de reconnaissance des disciples de Pythagore, mais c'est aussi le nombre des paroles d'intelligence de l'apôtre (I Corinthiens 14,19).

Les 5 maris de la samaritaine (Jean 4,18) pourraient bien s'appliquer aux 5 livres du Pentateuque -les seuls livres que les samaritains ont conservés. Ces cinq livres -sans les commentaires actualisateurs donnés par les prophètes- sont isolés de la tradition judéenne, attachée à un ensemble de « la loi et les prophètes » (Matthieu 5,17 ; 7,12 ; 22,40 … ).

Dans cette perspective, Jésus est un nouvel actualisateur -un nouveau « prophète ». C'est là un thème qui revient souvent : « Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens… mais, moi, je vous dis…. » (Matthieu 5,21).

Jésus rappelle que la référence à la Thora n'est pas compréhensible hors tradition. Il dit à la samaritaine : Tu as bien les 5 livres, mais aucun n'est véritablement ton mari…

Relevons cependant le chiffre 5 du Pentateuque -comme les 5 « rouleaux » festifs ou encore la division du psautier en 5 livres. Il serait surprenant que les scribes qui ont mis en forme le texte des évangiles aient « fortuitement » fait cette référence symbolique. Certes, d'autres interprétations de ce texte évangélique ont été données qui ignorent le symbolisme, mais ne semblent pas, de ce fait, convaincantes.

L'autre récit évangélique 

Nous lisons un second récit des pains multipliés en Matthieu 15. La comparaison est suggestive. On a souvent remarqué la ressemblance des deux récits, mais les nombres sont différents. Notre approche est ici bornée au symbolisme numérique mis en ¿uvre. Sur ce plan, comparaison s'impose.

Dans ce récit de Matthieu 14, une grande foule jeÉne pendant 3 jours et Jésus ne veut pas qu'elle reparte sans s'être sustentée. La comparaison est suggestive au plan du symbole numérique. On part cette fois (Matthieu 15,22ss) de 7 pains et « quelques petits poissons » (sans indication chiffrée). Après que tous ont mangé (4.000 hommes), il reste 7 corbeilles pleines.

Si nous comparons ces deux récits, nous voyons d'une part des similitudes et, d'autre part, des différences dans les chiffres indiqués :
5.000 hommes sont nourris et il reste 12 paniers
4.000 hommes sont nourris et il reste 7 paniers

Ces chiffres sont rappelés (Matthieu 16,9-10) et ne sont certainement pas dus au hasard. Mais l'usage de ce symbolisme numérique doit faire l'objet d'une explication particulière dans son propre contexte.

Une difficulté de cette approche symbolique est que chaque usage doit être compris dans son environnement. Ainsi pour les 5 vierges (Matthieu 25,2) ou les cinq mois du mal causé par les criquets (Apocalypse 9,10). Ou encore les cinq portiques de Bethesda (Jean 5,8) ou les cinq mois où Elizabeth se tient cachée (Luc 1,24). Autre est le symbolisme des cinq rois tombés en Apocalypse 17,10 (souvenir des cinq rois exécutés en Josué 10,26).

Chaque texte doit être vu à la fois dans le cadre d'un symbolisme général et dans le contexte qui lui est propre.

Dans le cas qui nous occupe, nous devons nous en tenir aux racines symboliques que sont les nombres 4, 5, 7, 12. Si les nombres 5 et 12 sont -et non seulement dans l'Evangile de Matthieu- la marque symbolique de la partie « sauvée » de l'humanité : le peuple « élu », l'église désignée, par contre 4 (totalité du monde horizontal -voir notre « Introduction aux nombres ») et 7 (totalité) réfèrent à l'humanité toute entière.

Les contextes éclairent ici cette différence. En Matthieu 14,13-21, les foules sont celles qui suivent Jésus (cf verset 14,13). Elles quittent leurs villes pour rejoindre Jésus « dans un lieu désert ». Elles ont quitté leur cadre habituel de vie pour écouter le maître. Ces marcheurs-chercheurs sont marqués des chiffres 5 et 12 : par le chiffre 5 (ici 5 fois mille -5 étant la racine symbolique et 1000 : le multiplicateur imposé par le contexte) et par le chiffre 12 (celui des tribus, des apôtres et de l'église…).

Par contre, les « grandes foules » du chapitre 15 représentent l'ensemble de l'humanité avec ses aveugles, ses sourds-muets, ses estropiés (cf 15,30). C'est ici que les hommes sont 4.000 -comme les quatre parties du monde terrestre- et qu'il reste 7 paniers de nourriture -7 suggérant la totalité des humains.

Ce sont là des chiffres symboliques familiers aux anciens. Ce savoir semble s'être tôt perdu -ou conservé dans quelques groupes chrétiens tôt marginalisés. Il reste que n'en pas tenir compte est une étrangeté de l'exégèse moderne.

Jacques Chopineau, Genappe le 2 mars 2004